Chronique du racisme ordinaire
Mercredi 5 juillet 2006
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Europe
Étude. Revenant sur les élections européennes, Jean-Yves Camus montre que les thèmes de l’extrême droite ont été repris par les partis traditionnels.
À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale du 21 mars, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié une étude du politologue français Jean-Yves Camus sur « l’utilisation d’arguments racistes, antisémites et xénophobes dans les discours politiques ». Instance du Conseil de l’Europe créée en 1993, l’ECRI a pour mission de combattre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance en Europe, au sens large, et de veiller à la protection des droits de l’homme.
« Une des évolutions les plus préoccupantes de ces dernières années est que le discours raciste et xénophobe n’est plus confiné à la sphère assez circonscrite des formations d’extrême droite. Les questions liées à la politique de l’immigration et du droit d’asile, en particulier, sont devenues des déterminants majeurs du vote des électeurs et un élément-clé du débat politique, surtout en Europe occidentale », écrit Jean-Yves Camus. Il constate que globalement les partis d’extrême droite « restent contenus électoralement » lors des élections européennes de juin 2004 à l’exception de la Belgique avec l’ex-Vlaams Blok (23,16 %), et de la Pologne avec la Ligue des familles polonaises (15,92 %) et le parti Samobroona (10,78 %) « Il n’y a pas eu l’explosion du vote d’extrême droite que l’on pouvait redouter. Loin de là . Au sein des pays d’Europe centrale et orientale comme la République tchèque, la Hongrie ou la Slovaquie, la tendance est à la disparition des partis extrémistes des parlements nationaux », dit-il, ajoutant que l’extrême droite est absente ou groupusculaire dans une dizaine de pays européens.
Ces formations ont été dépossédées de leurs thèmes de campagne par les partis traditionnels de droite et de gauche que Jean-Yves Camus qualifie de « mainstream ». L’auteur évoque « une véritable contamination des partis démocratiques ». C’est particulièrement criant au Danemark et aux Pays-Bas, où la campagne européenne s’est focalisée sur les questions liées à l’immigration. Jean-Yves Camus cite aussi le cas de l’Union démocratique du Centre, premier parti de Suisse avec 26,6 % des voix lors du scrutin national de novembre 2003. « L’UDC est un exemple type de parti de gouvernement qui n’appartient ni historiquement ni idéologiquement à l’extrême droite mais à la droite agrarienne et qui a évolué au fil des années vers des positions populistes xénophobes », explique-t-il. Pour lui, il est désormais très clair que, dans quasiment tous les pays de l’Europe, la théorie du « choc des civilisations » gagne du terrain chez les individus socialement ou économiquement fragilisés. « La question de l’adhésion de la Turquie et celle de l’avenir de l’islam en Europe sont devenues des arguments aussi importants que l’immigration et le droit d’asile. »
Damien Roustel
 Journal l’Humanité
Rubrique International
Article paru dans l’édition du 25 mars 2005
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LES ALLIANCES DOUTEUSES DES INCONDITIONNELS D’ISRAËL
Peut-on critiquer la politique palestinienne du gouvernement israélien et lui opposer les principes du droit international sans passer pour antisémite ? C’est la question que pose la campagne de harcèlement des médias menée depuis des mois par les inconditionnels du général Ariel Sharon. Une étrange alliance d’intellectuels issus de l’extrême droite et de la gauche recourt à tous les moyens - y compris les procès - pour disqualifier, voire écarter, les journalistes qui s’efforcent de rendre compte honnêtement du conflit israélo-palestinien.
 Ce devait être un colloque scientifique, au cours duquel des spécialistes israéliens, palestiniens et français débattraient des « Médias entre rationalité et émotion ». En fait, Nice fut, du 9 au 11 novembre 2001, le théâtre d’un procès en sorcellerie. Accusés, deux journalistes de l’Agence France Presse (AFP), un ex-correspondant de Libération à Jérusalem ainsi qu’un journaliste du Monde diplomatique, plus - par contumace - un couple de chercheurs, presque tous d’origine juive. Procureurs, Alexandre Del Valle, les universitaires Frédéric Encel et Jacques Tarnero, et le journaliste Maurice Szafran (Marianne). Les organisations juives assuraient la claque, plus inspirée par le général Ariel Sharon que par feu Itzhak Rabin…
Avec le recul, cet épisode fait figure de banc d’essai de la contre-Intifada que les inconditionnels d’Israël ont développée depuis à grande échelle. Ceci explique sans doute cela : L’Express (1) venait alors de publier un impressionnant sondage de la Sofres. Si les Français y expriment plus de sympathie pour Israël (44 %) que pour la Palestine (32 %), ils ne croient plus que les Palestiniens portent la responsabilité exclusive de l’échec du sommet de Camp David, préférant renvoyer les deux parties dos à dos (75 %). Sur Jérusalem, ils se sentent plus proches des positions israéliennes que des Palestiniens (25 % contre 17 %), mais c’est l’inverse sur les colonies (15 % contre 36 %) et même sur le « retour en Israël des réfugiés » (18 % contre 27 %). Et 83 % se prononcent pour la coexistence de deux Etats. Enfin, 61 % jugent la politique française « équilibrée », 12 % trouvant qu’elle soutient trop les Israéliens et 6 % les Palestiniens. jamais les sharonistes n’ont été aussi isolés.
Président de France-Israël, l’amiral Michel Darmon l’affirme ingénument : « Depuis dix ans, la communauté juive s’est trompée de combat. Ce n’est pas Le Pen notre ennemi, mais la politique étrangère de la France (2). » Peser sur cette dernière implique toutefois de regagner du terrain perdu dans l’opinion. Ce qui suppose la reconquête des médias, car - assure la journaliste Elisabeth Schemla - « en deux ans, Sharon a perdu une bataille quasi-planétaire : celle de la communication (3) ». Mais comment enrégimenter dans cette bataille le maximum de juifs de France ?
« Ces gens misent sur l’idée de la menace existentielle, qui fait directement référence à la Shoah, répond Sylvain Cypel, journaliste au Monde (4). A l’époque, face à la barbarie nazie, les résistants juifs - sionistes de gauche ou de droite, communistes et bundistes(5) - ne pouvaient que s’unir. Actuellement, la conviction que l’existence même d’Israël est en danger doit amener à resserrer les rangs de la communauté et à délégitimer les voix discordantes. » Cette union sacrée s’enracine dans l’angoisse suscitée par les insupportables attentats-kamikazes en Israël et les non moins odieuses agressions antijuives en France - comme, en arrière-plan, par la crise d’identité du judaïsme (6). Ces périls, certains prétendent les combattre en forgeant une étrange alliance entre des intellectuels d’extrême droite et d’autres originaires de la gauche - un concubinage contre-nature fondé sur le ralliement des seconds aux premiers. Au nom de la lutte contre l’islamisme, assimilé à l’islam et au terrorisme, contre lequel le président George W. Bush a déclenché sa folle croisade.
L’exemple vient de haut. Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), M. Roger Cukierman qualifia le score de l’extrême droite, lors de l’élection présidentielle, de « message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles (7) ». Comme en écho, M. Bruno Mégret déclara cet été : « Face à l’intégrisme islamique, nous partageons des inquiétudes communes avec les organisations représentatives des juifs de France (8). »
Commentaire d’une revue néofasciste : « Ce repli communautaire [des juifs] s’accompagne inévitablement d’un discours raciste, souvent primaire, à l’encontre des Arabes. Ainsi, de plus en plus de passerelles sont tendues en direction de certains intellectuels proches de la droite radicale, réputés pour leur anti-islamisme, comme Alexandre Del Valle. Ceux-ci, contre un strict alignement sur les positions sionistes, se voient alors conviés à toutes sortes de colloques regroupant les institutions juives (…) et invités à de nombreuses émissions de radio et de télévision. On a même vu apparaître un site web ultraraciste s’intitulant “SOS-racaille” (…) piloté par des organisations sionistes comme le Betar. Après avoir lutté violemment contre tous les mouvements d’extrême droite depuis trente ans, voilà que ces milices sionistes leur font désormais les yeux doux. On croit rêver(9)  ! »
Alexandre Del Valle est en effet devenu la coqueluche de certaines organisations juives. Et pourtant, Marc d’Anna - - son vrai nom, sous lequel il a signé de nombreux articles - a longtemps écrit et parlé pour les groupes d’extrême droite et catholiques intégristes (10). Devenu chevènementiste le temps d’une campagne, avant de se porter candidat à la vice-présidence de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), a-t-il vraiment renié les délires de ses mouvances d’origine lorsqu’il écrit : « Nous avons affaire au troisième grand totalitarisme, et à un mouvement de fond mondial et durable, dont l’ambition est de soumettre la planète à l’islamisme, après avoir instauré une guerre des civilisations et des religions (11)  » ?
Dans la même veine, M. Jacques Kupfer, président du Likoud-France (sic) et, depuis juin, du Likoud mondial, qualifie les Palestiniens de « horde de barbares » et de « squatters arabes en Eretz Israël ». « On ne peut plus vivre avec eux si tant est qu’ils aient le droit de vivre », ose-t-il affirmer, avant de prôner leur « transfert ». « Encore faut-il, conclut-il, ne pas rater les occasions comme nous l’avons malheureusement fait en 1948 ou en 1967 (12). »
L’ennemi de mon ennemi est mon ami, dit l’adage. Voilà que Pierre-André Taguieff accuse pêle-mêle de « judéophobie » islamistes, antisionistes, gauchistes, altermondialistes et - air connu - juifs en proie à la haine d’eux-mêmes. Ex-chargé de mission auprès de M. Laurent Fabius à Matignon, Jacques Tarnero brode sur « l’habillage neuf, relooké des mots du progressisme, qui donne à la vieille passion antijuive une saveur acceptable, presque vertueuse (13) ». Et, Alain Finkielkraut lâche : « Autrefois, Sartre disait : “Tout anticommuniste est un chien.” Aujourd’hui, de Télérama au Monde diplomatique, on dirait : “Tout juif sioniste est un chien”, “Tout juif non antisioniste est un chien”, ce qui revient à dire : “Tout juif est un chien, sauf Rony Brauman” (14). »
Pour Staline, la fin justifiait les moyens. Apparemment, il ne manque pas d’émules parmi les fanatiques de M. Sharon, qui ont créé des dizaines de sites Internet, souvent scandaleux. L’un d’eux « rectifie » des dépêches de l’AFP, remplaçant - entre autres - l’expression « territoires occupés » par « Eretz Israël occidentale », qualifiant les Palestiniens de « nuisances » et leur assassinat de « neutralisation »…
Le site la Mena excelle dans la dénonciation de journalistes. A l’extrême droite, outre SOS-racaille, Amisraelhai.org appelait à « boycotter toutes les vermines antijuives », y compris des juifs « renégats » marqués d’une étoile de David et promis à « un bon coup de batte de base-ball sur la mâchoire (15) ». Un conseil que le Betar et la Ligue de défense juive, liée au parti Kach, interdit en Israël, n’avaient pas attendu : la longue liste des agressions qu’on leur impute s’est enrichie lors de la manifestation du CRIF, le 7 avril 2002, quand 400 à 500 personnes - selon le préfet de police - attaquèrent le cortège de La Paix maintenant, poignardèrent un commissaire et ratonnèrent allégrement…
D’autres militants manifestent devant des médias « ennemis », comme l’AFP, Libération ou France 2. Rue Claude-Bernard, ils ont badigeonné « Le Monde = antisémite » et « Plantu = nazi ». Certains se spécialisent dans le harcèlement par lettres ou mels : « Après certains articles, j’en reçois de dix à cinquante par jour, dont les deux tiers d’insultes et de menaces, souvent en des termes identiques, donc orchestrés », témoigne Sylvain Cypel. Qui raconte aussi comment, interviewé par la Télévision juive française (TFJ) sur ses révélations concernant un réseau d’espionnage aux Etats-Unis, confirmées depuis par le quotidien Yediot Aharonot, il eut la surprise de voir sa « performance » commentée ensuite, à l’antenne, hors de sa présence, par un psychologue chargé de révéler son « profil » de juif haineux de soi !
Mais le dernier chic, c’est le procès. Champion toute catégorie, Gilles-William Goldnadel, président d’Avocats sans frontière (qui, contrairement à l’association éponyme, ne s’intéresse guère au tiers-monde), ne craint pas le grand écart : auteur du Nouveau bréviaire de la haine (16) (antijuive), il n’a pas hésité à défendre le bréviaire de la haine (antimusulmane) d’Oriana Fallaci. Au total, le tableau de chasse des avocats ultrasionistes compte six procès en six mois, tous perdus…
Pourquoi transformer les médias en boucs émissaires, responsables des violences antisémites ? Pour contraindre les journalistes à l’autocensure, et leurs patrons à la censure ? Une étude minutieuse montrerait qu’ici ou là , la prudence tempère désormais la quête de vérité. Ainsi Libération a publié plusieurs enquêtes sur l’antisémitisme des jeunes Beurs, mais aucune sur le racisme anti-arabe parmi certains jeunes juifs français. Cependant, les manipulateurs espèrent plus, cette fois : la tête de certains professionnels, jugés particulièrement dangereux.
« Certains veulent me faire virer, et ils ne s’en cachent pas », confie Charles Enderlin. En Israël, menacés durant la première année de l’Intifada, le correspondant de France 2 et les siens durent déménager. Et voilà qu’à Paris des centaines de manifestants se sont rassemblés devant le siège de France Télévision pour lui remettre le « prix Goebbels ». Son crime ? Avoir témoigné de la mort du petit Mohamed Al-Doura dans les bras de son père. Depuis que le général Giora Eiland a reconnu l’origine israélienne du tir (17), la Mena ne savait qu’inventer : faute d’avoir pu prouver que le feu provenait des positions palestiniennes, elle assure que l’enfant serait… vivant ! « Cette affaire n’est qu’un prétexte, conclut Enderlin. Ces gens ne supportent pas qu’un journaliste franco-israélien fasse son travail honnêtement. D’ailleurs, jamais personne n’a porté plainte contre moi. »
Producteur et animateur de l’émission « Là -bas si j’y suis », sur France Inter, Daniel Mermet sort blanchi de deux procès intentés par l’association de Me Goldnadel, la Ligue internationale contre la racisme et l’antisémitisme (Licra) et l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). D’abord accusé d’antisémitisme pour des messages d’auditeurs critiquant fortement la politique du gouvernement israélien, Mermet a fait reconnaître par le tribunal que les émissions incriminées exprimaient « certaines préférences », mais « indépendamment de toute considération raciale ». La seconde affaire relevait du grotesque : les plaignants poursuivaient pour « provocation à la haine raciale » la rediffusion d’une série d’émissions de 1998… grâce auxquelles, pourtant, l’ancien médecin nazi d’Auschwitz Hans Münch, acquitté après la guerre, avait été enfin condamné !
Victorieux, Mermet s’avoue pourtant blessé - au point d’écrire un livre intitulé Salir un homme. Car il a vécu cette double épreuve comme « une tentative d’assassinat moral. Et professionnel : la première démarche de ces gens auprès de la direction de Radio France atteste qu’ils entendaient me faire virer ». Pourquoi ? « Dans un univers médiatique dépourvu d’esprit critique, mon émission offre un point de repère. Il fallait donc nous tailler un costard “antisémite de gauche”. » Mais la justice a tranché. « Même battus, mes persécuteurs intimident les journalistes. A preuve, la toute petite couverture de ces procès. Une attaque aussi carabinée contre la liberté d’expression exigeait une formidable levée de boucliers. » Reste que le site labassijysuis.org a recueilli 22 000 signatures - plus 5 000 par lettres - au bas de la pétition en faveur de Mermet…
Autre cible privilégiée : Pascal Boniface, le directeur de l’Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS). Dans une note adressée à la direction du Parti socialiste, puis dans une tribune du Monde (18), il met en garde la « communauté juive » contre le risque de voir se créer une « communauté d’origine arabe et/ou musulmane » organisée, sachant que la seconde représenterait dix fois plus de mandants potentiels… « Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter des principes universels et non le poids de sa communauté. »
Maladroitement formulée, mais de bon sens, cette réflexion lui vaut une véritable persécution. L’ambassadeur d’Israël en personne le cloue au pilori (19). Me Goldnadel - toujours lui - et Clément Weill-Raynal, président de l’Association des journalistes juifs de la presse française (sic), appellent les membres du conseil d’administration de l’IRIS à démissionner, sans guère de succès. Début novembre, certains exigeront même - vainement - sa démission. Jean-François Strouf, du Consistoire de Paris, s’en mêle, attribuant à Boniface la défaite du candidat Jospin ! Dans le droit-fil de sa récente radicalisation, L’Arche consacre trois pages à « Docteur Pascal et Mister Boniface ». Valeurs actuelles voit dans sa démarche la « clé des agressions(20) ». Pour ne rien dire de la tentative de cabale montée contre lui au sein du Parti socialiste, où sa note avait été bien accueillie au plus haut niveau… « Me traiter d’antisémite est ignoble. Et dangereux, ajoute Boniface - allusion aux menaces de mort reçues. Ce qui est incroyable, c’est le décalage entre mes écrits et ces attaques. J’ai l’impression d’être victime d’une fatwa. »
Alexandra Schwartzbrod a pris ses fonctions de correspondante de Libération à Jérusalem juste avant la seconde Intifada. Elle a dû apprendre vite - « et bien », précise Enderlin. Pourtant, elle va regagner Paris ce mois-ci. Gênés, ses collègues font état de « problèmes politiques et professionnels ». Coïncidence ? La Mena l’accusait systématiquement depuis janvier 2002 d’« incitation à la haine ethnique » et de « propagande anti-israélienne », jusqu’à ce que, le 14 juillet, une dépêche claironne : « Alexandra Schwartzbrod s’en va ! Ce sont nos amis à Libération qui nous ont confirmé la rumeur avec une satisfaction certaine. » Et de raconter par le menu les discussions internes qui aboutirent au rappel de la correspondante et à son remplacement…
Diffamez, diffamez, il en restera toujours quelque chose. Conformément au vieil adage, le cocktail de calomnies et de propagande dont les organisateurs de cette campagne ont régalé maints journalistes a bien sûr laissé des traces. Sans pourtant tromper l’opinion, au contraire : selon un sondage inédit, d’octobre 2000 à avril 2002, la « sympathie » est passée pour les « positions israéliennes » de 14 % à 16 %, et pour les « positions palestiniennes » de 18 % à 30 % (21). En cas de conflit militaire, 31 % des sondés en attribueraient la responsabilité aux autorités israéliennes (contre 20 % en octobre 2000), et 12 % aux autorités palestiniennes (contre 14 %). Enfin, 47 % jugent l’attitude des médias « objective » (56 % en octobre 2000), 16 % « trop favorable aux positions israéliennes » (contre 9 %) et 14 % « aux positions palestiniennes » (contre 9 %).
Cinglant, cet échec provoque d’ailleurs de premières hésitations. Lors de la provocation contre Charles Enderlin, le CRIF s’est démarqué de ses ultras. Dans le nouveau procès, intenté cette fois à Edgar Morin, Danielle Sallenave et Sami Naïr, Me Goldnadel doit se passer de la Licra et de l’UEJF. Un temps en pointe dans la dénonciation des intellectuels juifs critiques (22), Marianne est revenue à plus de raison. Les démocrates, les hommes de gauche juifs auraient-ils enfin compris qu’ils ne peuvent plus, au nom de la lutte contre l’antisémitisme, cautionner l’idéologie et les agitateurs de l’extrême droite ? Il est temps en tout cas d’en finir avec cette situation où - pour citer la Lettre ouverte aux juifs de France(23) de M. Elie Barnavi - « les extrémistes clament leur extrémisme, sans doute parce qu’ils en sont inconscients. Les autres, c’est-à -dire l’immense majorité, chuchotent ».
 Dominique Vidal
Lire :
 Une « Année de cristal » ?
 Virage à droite
 et aussi les courriers de Me Goldnagel et de M. Del Valle.
(1) 8 novembre 2001.
(2) Témoignage chrétien, Paris, 6 juin 2002.
(3) Le Figaro, Paris, 23 septembre 2002.
(4) Les citations non référencées sont extraites d’entretiens réalisés au cours de cette enquête.
(5) Le Bund, né en Russie, dans la clandestinité, en 1897, est une formation juive socialiste non sioniste.
(6) Lire « Juifs de France en quête d’identité », Le Monde diplomatique, août 2002.
(7) Haaretz, Tel-Aviv, 22 avril 2002. Dans le même numéro, Pierre-André Taguieff dit de Jean-Marie Le Pen : « Personne n’a jamais été capable de l’identifier sans équivoque comme un antisémite. »
(8) Le Parisien, Paris, 28 août 2002.
(9) Jeune Résistance, Paris, n° 25, hiver 2001.
(10) Lire René Monzat, « L’étonnant parcours d’Alexandre Del Valle », Ras l’Front, Paris, avril 2002.
(11) Le Figaro, 16 octobre 2002. Voir Le Totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, Editions des Syrtes, Paris, 2002.
(12) Editorial de la radio Arouts 7, 11 août 2002. Consulter le site http://www.a7fr.com/
(13) Le Figaro, 16 janvier 2002.
(14) Intervention à la journée « Le sionisme face à ses détracteurs », Paris, 13 octobre 2002. Alain Finkielkraut a par ailleurs, comme Alexandre Adler, témoigné à charge contre Daniel Mermet.
(15) Cf. Le Monde, 23 août 2002.
(16) Ramsay, Paris, 2001.
(17) Haaretz, 25 janvier 2002.
(18) Le 4 août 2001.
(19) Le Monde, 8 août 2001.
(20) 7 décembre 2001.
(21) Enquête BVA pour la Revue d’études palestiniennes.
(22) Voir notamment les numéros du 5 novembre 2001 et du 28 janvier 2002.
(23) Stock-Bayard, Paris, 2002.
Violences racistes, amalgames et manipulations
Les pompiers pyromanes de l’antisémitisme
A en croire les médias, l’antisémitisme représenterait le grand problème de l’heure. L’escalade au Proche-Orient a entraîné la multiplication des actes antijuifs, qui doivent être combattus – tout comme le racisme antiarabe ou antiroms. Ce qui suppose d’éviter généralisation et amalgame simplificateur : la difficulté à enseigner la Shoah dans certains lycées relève de phénomènes bien plus complexes que les préjugés de jeunes Beurs (lire « Peut-on encore enseigner la Shoah ? »). Mais surtout, accuser de judéophobie quiconque critique la politique du gouvernement israélien, c’est non seulement se livrer à un chantage inacceptable, mais aussi alimenter le mal qu’on prétend combattre…
« Lobby juif ». Jusqu’à présent, en France (1), seule l’extrême droite utilisait cette expression qui, en deux mots, résume tous les fantasmes antisémites : la finance juive, les médias juifs, le pouvoir juif, bref une version modernisée des Protocoles des sages de Sion (2). Or voilà que, pour la première fois, on la retrouve sous la plume d’une personnalité juive : Elisabeth Schemla, fondatrice du site proche-orient.info après avoir été rédactrice en chef au Nouvel Observateur, puis collaboratrice de Mme Edith Cresson à Bruxelles, auteure enfin d’un livre fort peu critique – c’est un euphémisme – à l’égard du général Ariel Sharon (3).
Proche-orient.info n’a pas peur du grand écart : ce site prône en effet une laïcité intransigeante tout en défendant des démarches communautaires. Mais, le 25 février 2004, dans son éditorial, sa directrice est tombée… du côté où elle penchait. Après avoir salué pêle-mêle l’annonce (d’ailleurs prématurée) de la non-diffusion en France du film La Passion du Christ, de Mel Gibson, le refus de l’Olympia d’accueillir le spectacle du comique Dieudonné et l’interdiction faite à Mme Leila Shahid, déléguée générale de Palestine en France, de prendre la parole dans un collège niçois, elle commentait : « Ce sont des organisations françaises juives qui ont coup sur coup conduit la bagarre et, au nom de la République, ont obtenu gain de cause, après de nombreuses autres victoires durant l’année 2003. » Et d’ajouter : « Des personnalités prestigieuses et prétendument toutes-puissantes laissent la place à des responsables, des associations et des institutions qui savent de mieux en mieux se faire entendre des pouvoirs publics. » Titre de cette ardente défense et illustration de la censure : « En France, naissance d’un lobby juif au sens plein et respectable du terme »…
Quelques jours auparavant, un collaborateur du site en question, Sylvain Attal, publiait un livre (4), dont l’ultime chapitre s’intitule : « Un lobby ? Chiche ! » « Jusqu’ici, écrit-il, les représentants de la communauté juive se sont montrés réticents ou franchement hostiles à cette idée, craignant qu’elle n’alimente l’antisémitisme, ou au moins le reproche de communautarisme. Aujourd’hui, il semble qu’ils aient évolué. [Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF)] Roger Cukierman affirme ne pas être effarouché par l’idée : “S’il y a un lobby, c’est parce que nous sommes attaqués.â€Â » Et Attal d’énoncer les succès remportés par ledit lobby, en France comme à l’échelle de l’Union européenne. Un exemple : Mme D., « une lobbyiste évoluant dans le milieu de l’industrie, pro-israélienne convaincue », aurait contribué à empêcher le Quai d’Orsay de nommer à Tel-Aviv un ambassadeur jugé pro-arabe. « Circonstance aggravante à ses yeux, il est marié à une musulmane d’origine algérienne (5) »…
A vrai dire, cette nouvelle radicalisation des inconditionnels d’Israël reflète leur faiblesse plutôt que leur force : la campagne qu’ils ont engagée depuis plus de trois ans a, pour l’essentiel, échoué. Quels buts se fixaient-ils en recourant à l’arme, dangereuse s’il en est, du chantage à l’antisémitisme ? Faire taire les voix dissidentes parmi les juifs de France, mieux peser ainsi sur les médias et, de la sorte, influer sur l’opinion publique, voire infléchir la politique de la France (6). Et ils n’ont pas lésiné sur les moyens : diffamations de journalistes et de chercheurs insensibles aux charmes du premier ministre Ariel Sharon, manifestations agressives devant le siège de médias déclarés « hostiles », violences en série (7) des extrémistes de droite du Betar et de la Ligue de défense juive (LDJ), sans oublier la multiplication des procès contre des intellectuels présentés comme « antisémites »... Cette offensive tous azimuts se poursuit, hélas, plus hargneuse que jamais.
Ainsi les gros bras de l’extrême droite juive n’ont-ils pas renoncé à leurs pratiques fascisantes. Le 30 décembre 2003, un commando masqué, armé de barres de fer et de coups-de-poings américains, a blessé des membres de l’Association générale des étudiants de Nanterre en plein tribunal administratif. Et les nervis tenteront de recommencer, le 21 janvier 2004, à l’issue d’une reconstitution à la police judiciaire…
En matière d’insultes aussi, c’est un vrai festival. Encore sur proche-orient. info (8), Alexandre Adler, interrogé à propos de Tariq Ramadan, se déclare « beaucoup plus choqué par des traîtres juifs comme les Brauman et autres ». A l’antenne d’une radio communautaire (9), Alain Finkielkraut taxe d’« antisémitisme juif » le cinéaste israélien Eyal Sivan, qu’il soupçonne de vouloir « tuer », « liquider » et « faire disparaître » ses coreligionnaires (10). Quant à Pascal Boniface, le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), il « a fait encore un grand pas, selon le mensuel L’Arche (11), dans la direction qui mène de la critique raisonnée d’Israël à la haine irraisonnée des juifs »…
Même escalade dans l’ordre juridique. Me Gilles-William Goldnadel a certes perdu toutes ses procédures contre Raymonda Tawil, Témoignage chrétien, Daniel Mermet, Michèle Manceaux et, récemment, le journal Ras l’Front. Le crime de ce dernier ? Avoir éclairé la biographie de l’idéologue Alexandre Del Valle, soudainement passé de l’extrême droite antiaméricaine et antisioniste à la droite… de la communauté juive.
Ces déconvenues n’ont cependant pas découragé l’avocat. Le voilà qui s’attaque au sociologue Edgar Morin, à l’écrivaine Danièle Sallenave et au député européen Sami Naïr, accusés de « diffamation raciale » pour avoir écrit, le 4 juin 2002, dans Le Monde : « On a peine à imaginer qu’une nation de fugitifs, issue du peuple le plus longtemps persécuté dans l’histoire de l’humanité, ayant subi les pires humiliations et le pire mépris, soit capable de se transformer en deux générations en “peuple dominateur et sûr de luiâ€. » L’avocat, heureusement, ne plaidait pas en 1967 : il aurait assurément traîné le général de Gaulle devant les tribunaux (12) !
Mais laissons là les hauts faits de nos inquisiteurs, car c’est en vain qu’ils les ont multipliés. Aligner les juifs de France ? Jamais les « autres voix juives » – pour paraphraser le titre d’une pétition à succès (13) – n’ont été aussi nombreuses. Jusqu’au sein du CRIF, où des personnalités reconnues, de Théo Klein à Alain Jakubowicz en passant par Michel Zaoui et Patrick Klugman, contestent, à des degrés divers, l’actuel président et, au-delà , la confiscation du Conseil par des extrémistes qui ont profité du sentiment de peur qu’éprouvent nombre de juifs. Peser sur les médias ? Si ces derniers ont tendance à réduire le conflit israélo-palestinien aux attentats-kamikazes, rien n’indique que, sur le fond, ils aient modifié leur orientation, dans l’ensemble plutôt équilibrée. Faire bouger l’opinion ? Si mouvement il y a depuis le déclenchement de la seconde Intifada, il va dans le sens inverse, comme l’attestent – après ceux de bien des sondages français – les résultats de l’enquête européenne publiée en novembre 2003.
L’affaire, on s’en souvient, fit scandale : 59 % des citoyens sondés dans les Etats membres de l’Union considéraient Israël comme « le pays qui menace le plus la paix mondiale ». Des journaux israéliens, immédiatement relayés en France, crièrent à l’antisémitisme. Qualifier un sondage d’antisémite a de quoi surprendre. Qui vise-t-on ? Les sondeurs ou les sondés ? Les questions ou les réponses ? Un quotidien de Tel-Aviv eut en tout cas le courage d’informer ses lecteurs des résultats d’une autre enquête d’opinion, dans laquelle 85 % des Français (soit dix points de plus qu’en 1998) exprimaient leur « sympathie » pour les juifs (14). Le détail des chiffres, évidemment aléatoires, importe moins que cette démonstration implacable : une majorité peut rejeter la politique de l’Etat d’Israël sans être pour autant hostile aux juifs, au contraire.
Si l’échec de ces campagnes a de quoi réjouir les partisans de la paix au Proche-Orient en même temps que les adversaires du communautarisme, juif comme musulman, il ne saurait nous rassurer. Car le chantage à l’antisémitisme banalise évidemment… l’antisémitisme, dont les formes nouvelles doivent inquiéter. Comme, lorsque la forêt flambe, certains pompiers se révèlent pyromanes.
Certes, l’antisémitisme comme courant politique a été marginalisé en France, ainsi que l’a confirmé le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur l’année 2002 (15). Même la tendance à une certaine « libération de la parole » antisémite, observée par la chercheuse Nonna Mayer jusqu’en 2000 – « comme si la situation explosive au Proche-Orient et la réprobation suscitée par la politique d’Israël dans les territoires rejaillissaient négativement sur l’image de tous les juifs », – s’est inversée entre 2000 et 2002, « comme si les violences répétées contre la communauté juive, loin d’attiser ou de banaliser l’antisémitisme, avaient fait prendre conscience du danger qu’il représente ». Un an auparavant, dans le Livre blanc (16) publié en 2002 par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et SOS-Racisme, le directeur des études politiques de la Sofres, Philippe Méchet, relevait « avant tout l’absence d’antisémitisme de masse chez les jeunes d’origine maghrébine ».
Les chiffres du ministère de l’intérieur n’en restent pas moins effrayants : de 2001 à 2002, le nombre d’« actes racistes » a été multiplié par plus de quatre, et celui des « actes antisémites » par six. Cette crue – selon la CNCDH – a heureusement été suivie en 2003 (17) d’une décrue, respectivement –4 % et –35,9 %. Mais le pourcentage des agressions antisémites au sein des actes racistes est passé, en un an, de 6 % à 72 %. D’où cette appréciation du rapport : « La violence contre la communauté juive s’enracine et s’aggrave. » On est loin, néanmoins, des affirmations diffamatoires du ministre israélien chargé des relations avec la diaspora, Nathan Chtcharansky, qui avait parlé d’un doublement des actes antisémites l’an dernier (18) !
D’autant que les médias classent parfois certaines agressions à cette seule rubrique sans en avoir la moindre certitude. Ainsi, l’enquête officielle n’a pas encore statué sur la nature de l’incendie, le 15 novembre 2003, de l’école juive de Gagny, présenté d’emblée comme antisémite. De même, une commission de la Ligue des droits de l’homme a remis en cause la version originelle de l’affaire du lycée Montaigne, jugée emblématique par Le Nouvel Observateur. Au lycée Turgot, des professeurs et des élèves se sont mis en grève contre la diffusion, le 27 mars, d’un reportage de Cyril Denvers caricaturant les rapports entre élèves juifs et musulmans. Quant à celui d’Elie Chouraqui sur Montreuil, le 15 avril, les directions du lycée juif privé comme du lycée public mis en cause lui reprochent d’avoir privilégié les tensions et « passé sous silence le travail de rapprochement des deux établissements (19)  ».
Qui commet ces agressions contre des lieux de culte et d’enseignement juifs, mais aussi contre des personnes ? Le rapport 2002 de la CNCDH reprend – comme le suivant – les informations fournies par les renseignements généraux. La seconde Intifada et sa répression ont « conduit nombre de jeunes à afficher une identification avec les combattants palestiniens, censés symboliser les exclusions dont eux-mêmes s’estiment victimes ».
Les « adolescents ou jeunes adultes » appréhendés, poursuit le rapport, « sont, en grande partie, issus de quartiers sensibles où demeurent leurs parents, bien souvent immigrés d’Afrique du Nord ». Leurs exactions ont « suscité de vives condamnations de la part des responsables des communautés musulmanes de France, si l’on excepte une minorité de radicaux islamistes dont le message demeure cependant peu audible pour des délinquants fréquemment imperméables aux idéologies et qui prennent habilement prétexte de la situation proche-orientale pour donner libre cours à leur violence ».
Peu audible, le discours des radicaux islamistes n’en est pas moins dangereux dans la mesure où certains pourraient y trouver une légitimation. Or des imams, des sites Internet, des journaux, des livres répandent, ici ou là , la haine. C’est si vrai que, dès la fin 2001, le philosophe Tariq Ramadan avait appelé ses coreligionnaires à « être honnête et aller jusqu’au bout de l’analyse du phénomène : comme cela se voit à travers le monde musulman (voir Régression dans le monde arabe), il existe aujourd’hui en France un discours antisémite qui cherche à tirer sa légitimité de certains textes de la tradition musulmane et qui se sent conforté par la situation en Palestine ». « Ce discours, poursuivait-il, est également véhiculé par des intellectuels ou des imams qui à chaque écueil, au détour de chaque revers politique, voient la main manipulatrice du “lobby juifâ€. La situation est trop grave pour que l’on se satisfasse de propos de circonstance. Les musulmans, au nom de leur conscience et de leur foi, se doivent de prendre une position claire (…). Ce qu’il faut dire avec force et détermination, c’est que l’antisémitisme est inacceptable et indéfendable (20)  ».
Au total, on le voit, la France n’est donc confrontée ni à l’« Année de cristal » d’Alain Finkielkraut ni à la « nouvelle judéophobie » de Pierre-André Taguieff (21), mais bien plutôt à cette « montée de violence sociale » diagnostiquée d’emblée par l’ancien président du CRIF Théo Klein. Avec pour principal terreau ces ghettos de chômage et de misère où végète, sans le moindre espoir d’avenir, une partie de la jeunesse populaire, et en premier lieu celle qui est issue de l’immigration. S’il faut y combattre, comme dans le reste de la société, toute forme – a fortiori violente – de racisme et d’antisémitisme, il convient aussi, plus largement, de s’attaquer aux racines du mal. D’où l’importance de la convergence entre les forces démocratiques traditionnelles, les altermondialistes et les mouvements autonomes des jeunes des quartiers.
Décisive pour les uns comme pour les autres, cette nouvelle alliance se nourrit, non de flou, mais de clarté. Loin d’opposer la bataille contre les racismes antijuif et antiarabe, il convient de la développer d’un même mouvement. Car les changements en France comme la paix au Proche-Orient impliquent le rassemblement le plus large possible. Et la plus grande vigilance s’impose, au sein du mouvement lui-même, contre les préjugés des uns et des autres.
Peut-on plus longtemps tolérer, par exemple, que des juifs portant kippa soient agressés sur le parcours d’une manifestation contre la guerre d’Irak ? Qu’une maladresse suffise à dénoncer comme « antisémite » et à diaboliser Tariq Ramadan, dont chacun sait qu’il dénonce le poison judéophobe – les milliers d’auditeurs peuvent en témoigner ? Qu’on publie les textes antijuifs d’un Israël Shamir sous prétexte que leur auteur, israélien, critique radicalement son pays ?
De même, peut-on accepter que les médias stigmatisent, sous couvert de voile, toute une religion et ses fidèles, assimilés au terrorisme, à l’intolérance et à l’oppression de la femme ? Que l’étoile de David soit accolée à une croix gammée – comme si l’insupportable répression des Palestiniens pouvait être comparée à l’extermination monstrueuse de millions de juifs, de Tziganes, de malades mentaux et de « bouches inutiles » slaves ? Qu’un élu du suffrage universel, dont la liste a obtenu le meilleur score de la gauche populaire et citoyenne au scrutin régional, se voie refuser une vice-présidence, notamment en raison de sa critique de la politique du général Sharon et de ses réserves sur la loi interdisant le port des signes religieux à l’école ?
Le racisme est indivisible, la lutte contre lui l’est aussi. Si le mouvement social l’ignorait, il donnerait des verges pour se faire battre. Du coup, il ne pourrait ni mettre en échec le terrorisme intellectuel ni jouer pleinement son rôle.
Dominique Vidal.
Violences racistes, amalgames et manipulations
(1) Il n’en va pas de même aux Etats-Unis, où le Jewish lobby, qui se qualifie lui-même ainsi, n’est qu’un des innombrables groupes d’influence qui interviennent officiellement auprès des institutions.
(2) Forgé de toutes pièces par les services parisiens de la police tsariste et publié en Russie en 1905, ce texte, qui décrit le prétendu complot des juifs pour s’emparer de la planète, a servi et sert encore de prétexte à toutes les propagandes antisémites.
(3) Ton rêve est mon cauchemar, Flammarion, Paris, 2001.
(4) La Plaie. Enquête sur le nouvel antisémitisme, Denoël, Paris, 2004. Notons qu’entre quelques analyses intéressantes l’auteur multiplie les accusations grotesques contre les intellectuels coupables… de ne pas partager ses vues.
(5) La Plaie, op. cit.
(6) Lire « Au nom du combat contre l’antisémitisme », Le Monde diplomatique, décembre 2002.
(7) L’impunité dont bénéficient, apparemment, la plupart des auteurs de ces violences pose un double problème : policier et judiciaire, car ceux-ci sont rarement arrêtés et a fortiori condamnés ; politique, car ces deux groupes, dont l’essentiel de l’activité se résume à des agressions, devraient, en vertu des lois françaises, être purement et simplement dissous.
( 13Â octobre 2003.
(9) RCJ, 30Â novembre 2003.
(10) Ce terrorisme intellectuel n’a pas été sans effet : une projection de La Route 181, d’Eyal Sivan et Michel Khleifi, a été annulée au Centre Georges-Pompidou le 14 mars, de même qu’une autre d’Ecrivains des frontières, de Samir Abdallah et José Reynes, au cinéma Utopia à Toulouse le 25 mars.
(11) Septembre 2003.
(12) Me Goldnadel poursuit aussi Eric Hazan, le directeur des éditions de La Fabrique, pour la publication de L’Industrie de l’holocauste, de Norman Finkelstein, un livre à certains égards discutable, mais qui ne relève en rien de la « diffamation raciale » ni de l’« incitation à la haine raciale » (cf. « Ambiguïtés », Le Monde diplomatique, avril 2001)…
(13) On en retrouvera le texte et les signataires dans Le Monde, 17 décembre 2003.
(14) Yediot Aharonot, 4Â novembre 2003.
(15) La lutte contre le racisme et la xénophobie, 2002, Rapport d’activité, La Documentation française, Paris, 2003.
(16) Les Antifeujs, Calmann-Lévy, Paris.
(17) La lutte contre le racisme et la xénophobie, 2003, Rapport d’activité, La Documentation française, 2004.
(18) Cette déclaration s’explique sans doute par les résultants décevants de la campagne en faveur de l’aliya : seuls 2 000 des 600 000 à 700 000 juifs français ont émigré en 2003, contre 2 400 en 2002.
(19) Pour Gagny, voir Le Figaro, 10 décembre 2003. Pour le lycée Montaigne : Rapport de la Ligue des droits de l’Homme sur les événements survenus au lycée Montaigne à Paris au cours du dernier trimestre 2003, 8 avril 2004. Pour Montreuil, lire Le Monde, 15 avril 2004.
(20) Le Monde, 20 décembre 2001.
(21) Qui a néanmoins été chargé par MM. Luc Ferry et Jean-Louis Borloo, le 18 mars, d’une étude sur l’antisémitisme chez les jeunes enfants…
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LA RÉPUBLIQUE ET SES IMMIGRÉS Â
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Yamina Benguigui Réalisatrice de cinéma et de télévision, auteur du film Inch’ Allah dimanche.  Henri Peña-Ruiz  |
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Rampante, innocente ou malhonnête, une certaine « islamophobie » se fraie un chemin dans le débat public français (1). Cette stigmatisation ne date cependant pas des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. L’islam serait, pour certains analystes, inassimilable par la société française, contrairement aux autres religions du Livre. Et l’on passe alors sous silence que ces dernières, au temps de leur domination politique, ont été aussi mortifères pour la liberté et pour l’égalité que la version intégriste de l’islam. Présenté comme ignorant la distinction laïque entre la sphère privée et la sphère publique, il signerait l’obsolescence du modèle républicain d’intégration. La délinquance constatée dans les banlieues ou l’affaire dite du « foulard islamique » illustreraient cette analyse. D’autres, au contraire, affichent une certaine « islamophilie » et demandent à la République de réviser sa laïcité, notamment en finançant sur fonds publics des mosquées ou l’intervention de religieux musulmans dans les établissements scolaires (2). Bref, de rétablir une reconnaissance officielle des religions, dont profiteraient logiquement toutes les confessions. Ainsi, l’archevêque de Strasbourg a-t-il suggéré que le régime concordataire d’Alsace-Moselle, qui consacre des discriminations positives pour les religions catholique, réformée et juive, pourrait bien constituer un modèle pour toute la France. Et Danièle Hervieu Léger demande une révision de la loi du 9 décembre 1905, qui parachève la séparation des Eglises et de l’Etat. De même, l’intégration des personnes qui se reconnaissent dans l’islam nécessiterait des entorses à la laïcité de l’école publique, en autorisant l’intervention dans les classes des représentants officiels des confessions. On invoque aussi le prétendu silence des programmes scolaires en matière de connaissance des faits religieux et mythologiques. Pourtant, les programmes d’histoire, de lettres, d’histoire de l’art et de philosophie permettent d’aborder ces questions. Qu’ils ne le fassent pas suffisamment est peut-être vrai, même si cela reste à démontrer. Ce qui ne justifie en tout cas pas le recours aux représentants des confessions, qui pourraient naturellement avoir d’autres buts que la culture désintéressée. Imagine-t-on un prêtre parlant autant des crimes de l’Inquisition catholique que des textes bibliques attribuant à Jésus-Christ un message d’amour ? La connaissance objective requiert aussi bien l’approche des faits historiques que celle des doctrines. ce qui doit valoir, c’est la distance propre à la déontologie laïque, faite à la fois de refus du prosélytisme et de respect de la diversité des convictions, religieuses ou non. A moins de croire que n’existent désormais que les conceptions du monde de type religieux, et que les citoyens qui ont d’autres options n’existent pas. La laïcité n’est pas volonté d’ignorer, mais souci de laisser aux familles l’élémentaire liberté de donner l’éducation de leur choix, dans la stricte conformité au principe d’égalité, en dehors de l’école. Celle-ci, en effet, a le souci de ce qui est commun à tous, et non seulement à certains : c’est à ce titre qu’elle est ciment social et facteur de paix. Qui ne voit d’ailleurs le danger de faire droit aux adeptes des diverses croyances au sein de l’espace scolaire, et d’y introduire la guerre des dieux comme naguère dans certaines écoles canadiennes, où les jeunes adeptes des religions s’affrontaient sur la base des symboliques vestimentaires arborées (3) ? Cela signifie-t-il qu’il n’y ait rien à faire pour favoriser une meilleure intégration ? Certainement pas. Rien dans l’islam ne s’oppose au respect de la laïcité. Au contraire, seule la laïcité républicaine peut permettre l’intégration pacifique de populations différentes. Dans l’Etat de droit républicain, la même justice doit valoir pour tous, immigrés aussi bien que natifs du pays. Les « immigrés » n’ont plus à être distingués. Ils sont devenus une composante de la population. Il faut donc qu’aucun choix particulier, en matière de religion ou de vie privée, n’y soit privilégié par la loi commune. C’est justement ce qui définit la laïcité : croyants des diverses religions ou athées se voient reconnaître la liberté absolue de conscience et l’égalité dans tous les domaines (lire Qui représentera les musulmans de France ?). Ce qui implique la neutralité confessionnelle de l’Etat et son souci de mettre en valeur ce qui unit plutôt que ce qui divise. Sur un pied d’égalitéO n voit que les différences de culture ou de religion ne sont pas niées, mais vécues de telle façon que demeure possible un espace régi par le seul bien commun, et ouvert à tous. Communauté de citoyens, la nation républicaine ne se fonde en principe sur aucune référence religieuse, aucun particularisme culturel, aucune conception obligée de la vie privée. La République n’est pas chrétienne ou islamique : elle s’interdit de se réclamer d’une confession militante, ou d’un athéisme officiel - et c’est pour cela qu’elle accueille tous les individus en les plaçant sur le même pied d’égalité, quelle que soit leur option personnelle. Il n’y a rien en elle qui puisse justifier l’exclusion, ou la rendre possible. Bien sûr, il faut que les hommes coexistent harmonieusement et qu’en cultivant leurs préférences singulières ils ne soient pas conduits à l’affrontement. En République laïque, le rôle de la loi commune est de rendre possible et d’organiser cette coexistence, et de préserver ce bien commun irremplaçable que constitue l’espace civique accueillant à tous. Le respect des préférences privées a dès lors pour condition qu’elles ne prétendent pas annexer la sphère publique ni compromettre la recherche de l’intérêt commun par des privilèges légaux accordés aux religions ou aux spiritualités athées. Dans une telle conception, les individus sont sujets de droit, et nul groupe particulier ne peut leur imposer quoi que ce soit. Ce danger trouve une illustration en Espagne, où des dispositions concordataires héritées du franquisme (Concordat de 1953, réaménagé en 1978) permettent à l’Eglise d’intervenir comme telle dans l’horaire normal des cours, par la médiation de personnels qu’elle désigne alors qu’ils sont payés sur fonds publics, et qu’elle peut révoquer au seul prétexte, par exemple, qu’ils viennent de divorcer. Or la logique de préservation de ces privilèges, par une sainte alliance des clergés, a conduit l’Etat espagnol à introduire dans certaines écoles publiques du sud du pays des religieux musulmans, dont la première exigence a été que les élèves filles portent le voile qu’elles se refusaient à porter auparavant. Ce double scandale défraie la chronique espagnole (4) et conduit le mouvement laïque à être de plus en plus écouté (5). Certes, la France ne satisfait pas complètement aux exigences de l’idéal laïque, mais ce déficit ne peut disqualifier l’idéal lui-même. Les conquêtes sont partielles, et s’inscrivent dans un processus de laïcisation du droit et de la société qui est encore loin de son terme idéal. Mais elles peuvent d’ores et déjà bénéficier aux immigrés. Evidemment, cette garantie a pour condition une exigence qui s’impose à tous, sans exception : respecter la sphère publique et les lois qui la font vivre, puisque celles-ci, en principe, n’ont pour raison d’être que le bien commun. C’est précisément pour cela que le modèle républicain est intégrateur. Et que l’intégration ne produit nullement l’effacement des patrimoines culturels. Schéma idéal, dira-t-on, car la pratique est autre. Certes. Mais, concrètement, qu’est-ce qui explique un tel décalage ? Il y a bien d’autres facteurs concrets qui nuisent à une intégration pourtant promue par le droit. Peut-être convient-il d’abord de mettre hors de cause l’héritage historique, et les traces que la culture et la religion dominantes, y ont laissées : calendrier, fêtes, usages, références quotidiennes sont propres à un lieu comme à une histoire. Elles paraissent étranges à celui qui vient d’ailleurs et possède d’autres repères. Mais faut-il les gommer pour mieux accueillir ? Cela est à la fois impossible et impensable. L’important n’est pas de réécrire l’histoire, mais de laïciser son héritage. Ce qui compte, c’est qu’aucun privilège juridique ne soit plus accordé au christianisme de ce fait. En outre, les mauvaises conditions de vie, l’exploitation sociale particulièrement intense, mais aussi des réflexes de xénophobie ou de racisme, d’intolérance à l’égard de l’autre, produisent de l’exclusion. L’erreur trop souvent commise est d’imputer à la République elle-même ce qui ne relève pas d’elle. Et de voir dans les exigences laïques et républicaines la source d’une exclusion qui a de tout autres causes. Erreur souvent dictée par la mauvaise conscience liée au souvenir de la colonisation. Celle-ci, pourtant, n’est pas imputable au modèle républicain. Il faut rappeler que le républicain Georges Clemenceau a condamné avec vigueur les expéditions coloniales de la IIIe République. Il convient donc de ne pas se tromper de combat ni d’oublier que la laïcité a rendu possible le « creuset français ». Quel paradoxe ce serait de renoncer à des principes qui ont joué un tel rôle, sous prétexte de mieux intégrer, alors qu’on prendrait ainsi le chemin exactement inverse ! Suivons pour cela Victor Hugo et Jaurès, qui unissaient la République sociale et l’émancipation laïque dans un même idéal. Ceux qui donnent tant à la République, en assumant des tâches souvent ingrates et mal rétribuées, doivent jouir de la plénitude des acquis sociaux, sans discrimination implicite ou explicite. Enfin, il faut que soit assurée une visibilité de toutes les composantes de la République parmi les acteurs de la vie sociale, dans les médias, ainsi que dans l’art. Pour favoriser l’intégration dans le respect de la laïcité, la République doit aussi témoigner de réels « égards », sans que jamais soit mise en cause la loi commune à tous. Si l’on ne peut pour cela réécrire l’histoire ni modifier les paysages et la culture héritée, on peut en revanche tout faire pour que les nouvelles composantes de la population jouissent concrètement de la possibilité de vivre dans la société à égalité. Quelques mesures simplesS ans transiger avec la laïcité de l’école publique et la nécessité de la préserver de toute manifestation ostentatoire d’appartenance religieuse, il est toutefois possible de faciliter l’accueil des jeunes de toutes origines par quelques mesures simples, et à fort coefficient symbolique. Dans les cantines, par exemple, la généralisation du choix entre deux plats pour les repas servis résoudrait de façon discrète la question des interdits alimentaires. L’attribution d’une autorisation d’absence exceptionnelle, chaque année, pour motif religieux, pourrait être envisagée. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y aurait pas à consacrer de régime juridique différent, mais simplement à témoigner d’égards. L’introduction dans les disciplines d’enseignement qui le permettent (histoire, lettres, philosophie, histoire de l’art, musique, arts plastiques) d’une approche plus développée des grandes cultures, et notamment de celles qui peuvent toucher plus directement la mémoire des immigrés, serait sans doute une bonne chose. Le tout bien sûr dans le strict respect de la laïcité, qui requiert une étude raisonnée et une mise à distance, et exclut tout prosélytisme. Pour permettre aux musulmans de se doter de lieux de culte et de construire des mosquées, il conviendrait de mettre un terme aux discriminations foncières comme celles qui conduisent certaines municipalités à faire entrave à la vente de terrains destinés à de telles constructions. Enfin, la laïcité ne peut vraiment s’exercer que lorsqu’on reconnaît à tous les citoyens de toutes confessions le droit d’être enterrés suivant leur religion et leurs coutumes. Trop peu de carrés musulmans existent dans les cimetières. Permettre à ceux qui le souhaitent de sacraliser la terre de France comme terre de sépulture, c’est donner des ferments pour l’enracinement des jeunes générations.  ÂYamina Benguigui et Henri Peña-Ruiz.
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  Lire : (1) Lire Alain Gresh, « Islamophobie », Le Monde diplomatique, novembre 2001. (2) Lire, par exemple, Henri Tincq, Le Monde, 24 octobre 2001. (3) Lire Catherine Clément, « Le signe qui tue », Le Messager européen, n° 3, page 207. (4) El Pais, Madrid, 5 novembre 2001. (5) « Europa laica », la « Fundation Cives » et la Ceapa, fédération de parents d’élèves en révolte ouverte contre les discriminations sur critère religieux.  |
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CHANGER DE PRÉNOM POUR TROUVER UN EMPLOI  | ||||||||||||||||||
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![]() AFIN de mesurer scientifiquement l’étendue de la discrimination raciale à l’embauche dans les entreprises, plusieurs associations ont récemment adopté la pratique du « testing ». Les résultats confirment les dires de ces jeunes qui, à diplôme égal, se voient écartés du fait de leur couleur de peau ou de la consonance « étrangère » de leur nom. La France, face à cette « maladie honteuse » qui la conduit toujours plus loin de ses principes fondateurs, saura-t-elle se donner les moyens d’y mettre un terme ?
L’avenir du passéMercredi 5 juillet 2006
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