Archive pour la catégorie 'Racisme'

Les habits neufs du discours raciste

Mercredi 5 juillet 2006

Europe

Étude. Revenant sur les élections européennes, Jean-Yves Camus montre que les thèmes de l’extrême droite ont été repris par les partis traditionnels.

À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale du 21 mars, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié une étude du politologue français Jean-Yves Camus sur « l’utilisation d’arguments racistes, antisémites et xénophobes dans les discours politiques ». Instance du Conseil de l’Europe créée en 1993, l’ECRI a pour mission de combattre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance en Europe, au sens large, et de veiller à la protection des droits de l’homme.

« Une des évolutions les plus préoccupantes de ces dernières années est que le discours raciste et xénophobe n’est plus confiné à la sphère assez circonscrite des formations d’extrême droite. Les questions liées à la politique de l’immigration et du droit d’asile, en particulier, sont devenues des déterminants majeurs du vote des électeurs et un élément-clé du débat politique, surtout en Europe occidentale », écrit Jean-Yves Camus. Il constate que globalement les partis d’extrême droite « restent contenus électoralement » lors des élections européennes de juin 2004 à l’exception de la Belgique avec l’ex-Vlaams Blok (23,16 %), et de la Pologne avec la Ligue des familles polonaises (15,92 %) et le parti Samobroona (10,78 %) « Il n’y a pas eu l’explosion du vote d’extrême droite que l’on pouvait redouter. Loin de là. Au sein des pays d’Europe centrale et orientale comme la République tchèque, la Hongrie ou la Slovaquie, la tendance est à la disparition des partis extrémistes des parlements nationaux », dit-il, ajoutant que l’extrême droite est absente ou groupusculaire dans une dizaine de pays européens.

Ces formations ont été dépossédées de leurs thèmes de campagne par les partis traditionnels de droite et de gauche que Jean-Yves Camus qualifie de « mainstream ». L’auteur évoque « une véritable contamination des partis démocratiques ». C’est particulièrement criant au Danemark et aux Pays-Bas, où la campagne européenne s’est focalisée sur les questions liées à l’immigration. Jean-Yves Camus cite aussi le cas de l’Union démocratique du Centre, premier parti de Suisse avec 26,6 % des voix lors du scrutin national de novembre 2003. « L’UDC est un exemple type de parti de gouvernement qui n’appartient ni historiquement ni idéologiquement à l’extrême droite mais à la droite agrarienne et qui a évolué au fil des années vers des positions populistes xénophobes », explique-t-il. Pour lui, il est désormais très clair que, dans quasiment tous les pays de l’Europe, la théorie du « choc des civilisations » gagne du terrain chez les individus socialement ou économiquement fragilisés. « La question de l’adhésion de la Turquie et celle de l’avenir de l’islam en Europe sont devenues des arguments aussi importants que l’immigration et le droit d’asile. »

Damien Roustel

 Journal l’Humanité
Rubrique International
Article paru dans l’édition du 25 mars 2005.

Du racisme en Europe

Mercredi 5 juillet 2006

AMBIGUITÉS DU MULTICULTURALISME

AMBIGUITÉS DU MULTICULTURALISME

Par Maria Lafitte 

  

LES observateurs de la vie sociale s’inquiètent de la montée d’un racisme plus « voilé » que « flagrant », plus complexe dans ses manifestations.

Ariane Chebel d’Appollonia observe un glissement historique d’une conception raciale-inégalitaire à une approche culturaliste- différencialiste (1) et montre que la démarcation est ténue entre l’idéologie raciste et celle du « droit à la différence ». Par une déconstruction de l’idéologie antiraciste, elle souligne les affinités entre logique identitaire et apologie de la pureté, l’« ethnie » ayant désormais supplanté la « race ». En historienne, elle saisit les interactions entre racisme et antiracisme différencialiste ou assimilationniste. Mais elle se garde bien de superposer ce conflit idéologique au clivage entre multiculturalistes et monoculturalistes qui cristallise le véritable enjeu pour la nation : celui - posé à travers la question de la laïcité - de l’équilibre entre diversité des identités et unité sociopolitique, autrement dit de la reconnaissance - qu’elle dit « nécessaire et insuffisante » - des différences.

C’est, en somme, le même débat, à l’échelle européenne, sur la définition d’une communauté politique - et donc la question de l’ « élargissement de la démocratie » par reconnaissance de la légitimité d’ « aspirants » à accéder au statut d’ « héritiers » - qu’illustrent les polémiques sur la construction européenne, tantôt déclinée comme « Europe passoire » ou comme « Europe forteresse ». Alors que l’identité européenne se forge dans le principe de libre circulation, Andrea Rea voit un « racisme européen » s’exprimer dans les arguments de sécurisation des frontières (pour la « maîtrise des flux ») et de précarisation du statut et de la condition des immigrés (pour affaiblir la « pression migratoire ») (2).

A l’encontre de tout déterminisme biologique ou culturel (3), les auteurs de Immigration et racisme en Europe  (4) recherchent une voie qui ne résiderait ni dans la construction mythique d’une « nation imaginée » ni dans l’éloge de la différence : elle implique, selon eux, l’appel à la subjectivité des individus et à leur capacité de s’articuler aux valeurs universelles de la modernité, gage de leur « autonomie identitaire ». Loin des passions et de tout jugement moral, ils conjuguent vision humaniste et rigueur des arguments, apportant sans doute la réponse la plus efficace à la diffusion des « racismes ordinaires ».

Maria Lafitte.
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(1) Ariane Chebel d’Appollonia, Les Racismes ordinaires, Presses de Sciences-Po, coll. « La Bibliothèque du citoyen », Paris, 1998, 110 pages, 75 F.

(2) Andrea Rea (sous la direction), Immigration et racisme en Europe, Editions Complexe, coll. « Interventions », Bruxelles, 1998, 241 pages, 120 F.

(3) Déterminisme contre lequel met en garde Hervé Le Bras. Lire Le Démon des origines. Démographie et extrême droite, Editions de l’Aube, coll. « Monde en cours », La Tour-d’Aigues, 1998, 272 pages, 130 F.

(4) Op. cit.

 
      


LE MONDE DIPLOMATIQUE | mars 1999

L’avenir du passé

Mercredi 5 juillet 2006
À DURBAN DÉJÀ, DEUX VISIONS DU MONDE FACE À FACE

Conclue trois jours avant les attentats du 11 septembre, la conférence de Durban sur le racisme a témoigné de la colère croissante des opinions du Sud face à l’Occident. Le retrait des Etats-Unis, en signe de solidarité avec Israël, a fait scandale. Et si, sous la pression des pays africains, la traite et la mise en esclavage des Noirs ont été qualifiées de crime contre l’humanité, les anciens pays colonisateurs ont refusé d’assumer des « réparations ». Un choc de politiques plutôt que de civilisations…

  

Par Christian de Brie
Journaliste.

Décidée en 1997 par l’Assemblée générale des Nations unies, au vu du génocide rwandais, de l’épuration ethnique dans les Balkans et de la montée de la xénophobie en Europe occidentale, la troisième Conférence contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance se proposait d’élaborer un programme de lutte contre le racisme, que chaque pays s’engagerait à mettre en |uvre sur le plan national. Réunie à Durban du 31 août au 8 septembre, après des mois de laborieuses et conflictuelles négociations préparatoires, elle promettait d’être houleuse.

Parce que le choix symbolique de l’Afrique du Sud, sept ans après les premières élections multiraciales qui devaient mettre fin au régime d’apartheid sans en effacer les séquelles, allait mobiliser la majorité noire marquée par des décennies d’oppression blanche. Regroupée au sein d’une Coordination nationale sud-africaine (Sangoco), réunissant quatre cents associations, bien décidée à se faire entendre, mobilisant douze mille manifestants dans les rues de la ville, elle devait, forte de son expérience de l’après-apartheid, pointer du doigt l’essentiel : « On ne peut pas séparer le problème du racisme de celui de la discrimination entre pauvres et riches. »

Parce que tous les pays africains, unis, exigent que la traite et l’esclavage soient qualifiés de « crimes contre l’humanité », imprescriptibles, ouvrant droit à des « réparations », lesquelles seraient assorties de la discussion de l’« initiative africaine » : un plan de développement pour le continent élaboré à partir du Programme africain pour le millénaire (MAP) de l’Afrique du Sud et fondé sur de nouveaux rapports Nord-Sud, en particulier en matière d’investissements, d’accès aux marchés et de développement des infrastructures.

Parce que les Palestiniens, victimes exaspérées de la répression israélienne, soutenus par les pays arabes, entendaient bien dénoncer « une conspiration colonialiste d’agression, d’éviction forcée, d’usurpation de la terre et de violation des lieux saints chrétiens et musulmans », selon les propos de M. Yasser Arafat, qualifiant la politique d’Israël de « raciste » et demandant qu’elle soit reconnue comme telle.

Parce que les Etats-Unis et les anciennes puissances colonisatrices européennes, réticents à reconnaître l’esclavage et la traite des Noirs comme « crimes contre l’humanité », à l’exception de la France qui vient de le faire (1), récusaient toute idée de « réparations ». Ainsi que tout compromis avec les pays qui voudraient assimiler le sionisme à une forme de racisme et faire d’Israël le principal accusé, ce qui servira de prétexte aux Américains pour quitter la Conférence.

Parce qu’un contre-sommet réunissant près de trois mille organisations non gouvernementales (ONG) allait faire entendre sur un autre ton la voix des peuples opprimés, manifester sa solidarité avec les Palestiniens et peser sur la conférence. Avant d’adopter dans une certaine confusion une déclaration finale où la dénonciation d’Israël comme Etat raciste accusé de génocide finira par occulter toutes les autres propositions. Jugée inacceptable par la secrétaire générale de la Conférence, Mme Mary Robinson, par les pays européens et par de nombreuses ONG, elle faillit conduire à la rupture. Et la déclaration finale de compromis, si elle ne condamne pas Israël, reconnaît l’esclavage comme « crime contre l’humanité » justifiant des « excuses », mais pas de compensations financières, sinon la mise en place de programmes de développement pour les sociétés victimes.

Si cent soixante pays étaient représentés à la Conférence, à peine une douzaine de chefs d’Etat s’étaient déplacés, en particulier aucun des plus hauts responsables des pays les plus riches, à l’indignation des ONG, exprimée par Mme Rigoberta Menchú, Indienne du Guatemala, Prix Nobel de la paix : « Notre présence est un défi à la promesse non tenue des Nations unies de mettre fin aux régimes coloniaux qui ont subjugué les peuples indigènes et créé de honteuses institutions d’esclavage. »

De l’aube du XVIe siècle à nos jours, la civilisation occidentale a construit sa suprématie universelle sur une pyramide de génocides et de crimes contre l’humanité, d’une barbarie sans précédent dans l’histoire, par son ampleur et sa durée. Insoutenable vérité pour les héritiers d’aujourd’hui, à peine disposés à reconnaître du bout des lèvres la culpabilité de leurs pères, pourvu qu’ils gardent les profits de leurs conquêtes.

L’esclavage n’a pas disparu

Lorsqu’en 1492 Christophe Colomb y débarque, l’Amérique compte quelque quatre-vingts millions d’habitants (sur une population mondiale d’environ quatre cents millions). Un demi-siècle après, il n’en reste que dix millions, soit 12,5 % - au Mexique, un million sur vingt-cinq, soit 4 %. La destruction des Indiens d’Amérique (qui se poursuit encore aujourd’hui) s’accompagne du pillage systématique des richesses et du vol à main armée des terres. Commence alors la traite transatlantique et la mise en esclavage des Noirs d’Afrique sur le continent américain, évaluée à quinze millions d’hommes, de femmes et d’enfants, durant trois longs siècles. Interdite en 1807 par les Anglais, puis par d’autres nations, pour des raisons rien moins qu’humanitaires, elle se poursuit illégalement pendant des décennies. Mais l’extinction de la traite transatlantique n’est pas celle de l’esclavage, qui, pour la France, aboli en 1794 puis 1848, perdure dans les faits pendant toute la période coloniale, jusqu’à la suppression du travail forcé en 1946.

Chacun, à l’Ouest, croit savoir ce qu’a été cette expérience pour l’avoir découverte dans les livres d’école, la condamne et s’empresse de faire table rase du passé. Mais le passé est éternel. Que triomphent demain la paix et la justice, rien ne pourra jamais effacer l’insondable détresse de ces myriades d’êtres humains dont la vie a basculé sans retour dans l’horreur et la désolation. De ce que l’être humain est capable de faire de l’homme, nous n’avons encore presque rien appris. Parce que ces crimes contre l’humanité ne sont pas un accident de l’histoire, qu’ils ont été prémédités, justifiés, codifiés, durant des siècles, ils ont laissé dans la conscience collective occidentale la trace profonde d’un racisme historique, racisme rampant, mais encore enraciné. Il serait donc bien léger de tourner le dos à un passé toujours présent.

Et il aura fallu que le racisme génocidaire culmine dans la destruction méthodique et accélérée de la quasi-totalité des juifs d’Europe - six millions en quatre ans -, la mise en esclavage de millions d’autres personnes, principalement des Slaves, par les nazis et leurs complices en Allemagne et dans la plupart des pays occupés, dont la France, pour que la conscience occidentale commence à vaciller. Forcée par l’immense travail de mémoire de victimes rescapées, de témoins et de chercheurs, juifs pour la plupart, fouillant inlassablement pour tenter de comprendre pourquoi et comment l’impensable s’était réalisé. Déshumanisation de populations entières stigmatisées, rationnellement justifiée, inculquée, acceptée ou tolérée ; terreur absolue rendant vaine l’idée même de résistance, exercée en toute impunité par des tueurs psychopathes, mais aussi par de bons pères de famille ; participation forcée des victimes à leur propre destruction ; exploitation jusqu’à la mort de leur force de travail et cupidité effrénée des bourreaux : le processus semble enfin révélé. Et pourtant, comme vient de le démontrer magistralement Rosa Amelia Plumelle-Uribe, auteure noire colombienne, dans un livre bouleversant (2), ce qui a fonctionné à l’encontre des juifs s’est appliqué durant des siècles, en particulier à l’égard des Indiens d’Amérique et des Noirs d’Afrique, sans que l’homme blanc s’en avise.

Aujourd’hui encore, il n’est ni disposé à le reconnaître ni à l’assumer, semblant donner raison aux propos d’Aimé Césaire : « Ce que le très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle (…) ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique (3).  » Tant il est vrai que, tandis qu’officiaient, à Nuremberg, les juges américain, soviétique, britannique et français, la ségrégation raciale restait légalisée aux Etats-Unis, le goulag tournait à plein régime en URSS, Grande-Bretagne et France traitaient à la bombe et au napalm la volonté d’émancipation des peuples colonisés qu’ils venaient de mettre durement à contribution pour leur propre libération(4).

Quelques années plus tard, l’Occident acceptait pour allié et soutenait militairement et économiquement le gouvernement raciste d’Afrique du Sud, truffé de néonazis, avant de le lâcher sous la pression de la communauté internationale et pour la sauvegarde de ses intérêts bien compris. A l’exception d’Israël, dernier et indéfectible soutien du régime de l’apartheid, qui lui servit de modèle dans le traitement des Palestiniens.

Pas plus que le racisme fondé sur des critères ethniques ou religieux, l’esclavagisme n’est une invention ni une exclusivité de l’homme blanc occidental. L’esclave est né dès les premières guerres, quant le vaincu, tendant le cou à son ennemi, lui laissait l’alternative de le trancher ou de l’enchaîner. Simple butin, lui, sa femme, ses enfants, déshumanisés, exploitables à merci, achetés et vendus sur les marchés, entièrement soumis à son propriétaire. De l’Egypte à la Chine, de la Grèce à l’Empire mongol ou à l’Empire ottoman, presque toutes les « civilisations » ont été esclavagistes sans aucun sentiment de culpabilité. En Afrique même, les arabo-musulmans ont pratiqué la traite des Noirs, avant, pendant et après les Européens, sur des populations au moins équivalentes et dans des conditions similaires. Et, de même, les anciens royaumes africains, en guerre perpétuelle - ni plus ni moins que les royaumes européens ou asiatiques -, n’ont pas attendu l’homme blanc pour se livrer entre eux au commerce lucratif des esclaves (5).

Et l’on sait que l’esclavage, y compris la traite, n’a pas disparu. Un demi-siècle après la Déclaration universelle des droits de l’homme, il perdure ; les victimes en sont les plus faibles des pays les plus pauvres : travail forcé de millions d’enfants, loués ou vendus à de lointains exploiteurs, fillettes venues du Sud contraintes au travail domestique, femmes de l’Est et du Sud livrées à la prostitution… Quant au racisme et à la xénophobie, ils recouvrent toute la planète, explosant régulièrement, ici ou là, dans un déferlement de violences meurtrières.

Rien de tout cela n’interdit de réparer les dégâts du passé. Cent trente-six ans après son abolition, constate Mme Barbara Lee, représentante démocrate de Californie et membre du Black Caucus, les séquelles de l’esclavage se font toujours sentir aux Etats-Unis. Et certainement plus encore, celles de la traite, en Afrique. Jusqu’à nos jours, on a surtout indemnisé les esclavagistes, contraints de céder à leurs victimes les biens qu’ils avaient usurpé. Haïti, l’un des pays les plus pauvres de la planète, a payé à la France, jusqu’en 1946, 150 millions de francs-or destinés à rembourser les colons après l’indépendance conquise en 1804. Ces dernières années, les Etats-Unis ont mené avec succès le combat des réparations aux travailleurs forcés de la seconde guerre mondiale. Ils en ont fait accepter le principe, trouvé les modalités. Et c’est justice. Comment justifier leur position, à Durban, et celle des pays européens, pour qu’en ce qui concerne les autres victimes, et en particulier les Noirs, la question ne soit même pas posée ?

En affirmant que le problème n’est pas le même, que la notion d’esclavage recouvre des réalités très différentes, que la désignation des responsables comme l’identification des ayants droit des victimes est bien aléatoire, que les « réparations » créeraient une nouvelle forme de dépendance du Sud à l’égard du Nord, qu’elles aideraient surtout les oligarchies africaines à se maintenir au pouvoir, après avoir enrichi des cabinets d’experts et de juristes, on se voile la face.

Science et religion, croyance et savoir : c’est sur ces piliers que la société occidentale, chrétienne et capitaliste, s’est édifiée, qu’elle maintient sa domination et creuse le fossé béant qui sépare l’humanité entre Nord et Sud, riches et pauvres. Partout où les inégalités économiques, sociales, juridiques et statutaires se développent et perdurent, finissent par prospérer le racisme, la justification idéologique de la supériorité des uns et de l’infériorité des autres, maintenus sous dépendance, humiliés et persécutés. Le sort fait aux Palestiniens par Israël depuis des décennies en est l’illustration tragique. S’il a acquis une telle importance sur la scène internationale quand celui de tant d’autres peuples reste méconnu, ce n’est pas parce qu’il sert de prétexte à la manifestation d’un antisémitisme toujours vivace, ouvertement exprimé par certains à Durban. C’est qu’il apparaît comme un condensé, en modèle réduit, de l’injustice archaïque qui préside aux rapports entre les êtres humains et comme une préfiguration de ce que pourrait être le monde de demain : un retour au passé.

Christian de Brie.
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(1) Sur une proposition de loi de la députée guyanaise Christiane Taubira-Delanon, votée par le Parlement en mai 2001.

(2) Rosa Amelia Plumelle-Uribe, La Férocité blanche, des non-Blancs aux non-aryens, génocides occultés de 1492 à nos jours, Albin Michel, Paris, 2001.

(3) Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1955, cité par Louis Sala-Molins, dans sa préface au livre de Rosa Amelia Plumelle-Uribe.

(4) Lire « Polémiques sur l’histoire coloniale », Manière de voir, n° 58, juillet-août 2001.

(5) Lire Mungo Park, Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, La Découverte, Paris, 1996.

 
     


LE MONDE DIPLOMATIQUE | octobre 2001

Alibi terroriste pour racisme antimaghrébin

Mercredi 5 juillet 2006
 
LE MONDE DIPLOMATIQUE

Novembre 2001

En France, la thèse de l’« ennemi intérieur » favorise l’accroissement des discriminations raciales, qui pesaient déjà lourdement sur la communauté maghrébine, et semble donner une nouvelle légitimité morale à l’islamophobie.

  

Par Nasser Negrouche
Journaliste.

Ni jets de cocktails Molotov contre les mosquées, ni agressions physiques de chauffeurs de taxis ou commerçants d’origine maghrébine, ni campagne de diabolisation de la communauté pakistanaise établie en France… Le syndrome de Manhattan aurait-il épargné le pays ? « C’est un calme apparent, nuance M. Mouloud Aounit, le secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP). Il suffit de prendre le métro pour se rendre compte que les regards sur les Maghrébins se sont beaucoup durcis. Les jeunes des banlieues issus de l’immigration étaient déjà très stigmatisés avant ces événements, alors aujourd’hui, n’en parlons pas… A l’évidence, le racisme sort largement renforcé de toute cette affaire ! Nous devons êtres vigilants, car les risques de dérapages semblent réels. »

A Saint-Prix (Val-d’Oise), par exemple, depuis le 11 septembre 2001, le maire RPR Jean-Pierre Enjalbert refuse de délivrer des attestations d’accueil (autrefois appelées certificats d’hébergement) aux « ressortissants émanant de pays régulièrement cités dans les affaires de terrorisme international ou de pays où des scènes de liesse ont accompagné l’annonce du drame que vient de vivre l’Occident ». Une décision illégale, et qui entretient une confusion pour le moins douteuse entre des travailleurs immigrés originaires du Proche-Orient ou du Maghreb qui souhaitent accueillir chez eux un proche et les auteurs d’actes terroristes. Informé de ces pratiques, le MRAP a saisi le préfet d’un recours hiérarchique et le tribunal administratif d’un recours contentieux.

Membre du bureau du Mouvement immigration banlieues (MIB), M. Nordine Iznasni prévoit pour sa part « des répercussions négatives pour un grand nombre de personnes, qui risquent d’être perçues comme des ennemis de l’intérieur, dont il faudrait se débarrasser pour garantir la paix sociale. Je pense aux jeunes des banlieues, à tous les Maghrébins de France, mais aussi aux sans-papiers en quête de régularisation et dont un grand nombre ont déjà été placés en centres de rétention depuis la mise en place du plan Vigipirate » (lire Haro sur l’asile).

L’argument sécuritaire a aussi justifié la prise de mesures d’exception attentatoires aux libertés individuelles (1) et dont les « cibles », même si elles ne sont pas explicitement nommées, sont connues d’avance. « Il est clair que ce sont surtout les personnes ayant un type physique nord-africain qui vont subir les mesures liberticides que vient de prendre le gouvernement. Notamment à l’occasion de contrôles d’identité ou de fouilles des véhicules, prévient M. Clément Schouler, substitut du procureur de la République et membre du bureau du Syndicat de la magistrature. Cette légalisation de l’état d’exception intervient dans un contexte de montée du discours sécuritaire qui ouvre la voie à toutes les dérives discriminatoires. »

Dans le monde du travail, les retombées ne se sont pas fait attendre. Quelques heures seulement après les attentats, c’est une véritable chasse à l’employé d’origine maghrébine (le plus souvent de nationalité française) qui s’est ouverte dans certains secteurs d’activités « sensibles » comme le transport aérien et terrestre, la défense nationale, les usines chimiques ou même les administrations publiques. « On a assisté à des comportements inacceptables, explique M. Jacques Méret, secrétaire général adjoint de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) qui regroupe environ 360 000 adhérents. Depuis le 11 septembre, de nombreuses entreprises spécialisées dans la mise à disposition de personnel pour assurer des missions de prévention-sécurité, d’accueil du public ou de nettoyage dans des structures privées ou publiques ont été priées de modifier la composition ethnique de leurs équipes. Tous les signalements qui nous sont rapidement parvenus des quatre coins de France se recoupent : les entreprises utilisatrices ne voulaient plus que les employés d’origine maghrébine, hommes ou femmes, continuent à assurer certaines missions d’accueil du public ou de surveillance et protection de locaux réputés sensibles. »

Transférés à la cave

Sous la pression de certains donneurs d’ordre, visiblement sensibles à la thèse de l’« ennemi intérieur », des sous-traitants ont été sommés de « blanchir » leur personnel dans les plus brefs délais sous peine de ne pas obtenir le renouvellement de leurs contrats en janvier 2002. « Nous avons décidé d’écrire au premier ministre pour l’informer de ces dérives et lui transmettre les éléments en notre possession. Il nous semble très dangereux de montrer ainsi du doigt une partie des employés d’une entreprise et de faire peser le soupçon sur elle sans motif sérieux. Je peux déjà vous dire que parmi les donneurs d’ordre formellement incriminés on trouve notamment les Aéroports de Paris, le ministère de l’équipement et plusieurs entreprises réputées installées dans les tours de la Défense. Plusieurs locaux administratifs et sociétés de transport de province sont aussi concernés », tient à préciser M. Méret. Différents moyens sont employés pour exclure les personnes d’origine maghrébine des équipes de travail : non-renouvellement des contrats à durée déterminée, déplacement des salariés sur des sites isolés, passage forcé en service de nuit, affectation à des tâches n’incluant aucun contact avec le public, fin des missions en cours…

« Parfois, on leur demande aussi de venir travailler le week-end quand les locaux sont fermés. Il y en a même qui étaient à l’accueil, et qu’on a transférés à la cave ! », s’insurge le secrétaire général adjoint de l’UNSA. Argument officiellement invoqué par les donneurs d’ordre pour justifier ces nouvelles conditions de travail : la peur des autres employés travaillant sur place ou celle du public qui fréquente les lieux. En réalité, les consignes viennent d’en haut. C’est le principe de précaution dans sa version paranoïaque. « Après huit ans d’ancienneté dans l’entreprise, sans jamais aucun problème, ça fait mal, du jour au lendemain, de se retrouver traité comme un terroriste, avoue Djamel, 32 ans, agent de sécurité. Le 12 septembre, on m’a affecté à la surveillance d’un entrepôt isolé qui ne présente aucun risque de sécurité alors que j’étais chargé du contrôle des entrées dans une grande administration. Mon patron m’a dit que c’était provisoire et qu’il n’avait pas le choix. Il m’a dit que je serai payé normalement, mais il ne comprend pas que l’argent, c’est pas le problème. Aujourd’hui, je me sens humilié. »

A l’argument de la rationalité économique traditionnellement mis en avant par les employeurs pratiquant la discrimination raciale à l’embauche (2), il faut désormais ajouter celui de la précaution sécuritaire, exploité par les donneurs d’ordre qui souhaitent « blanchir » leurs équipes.

« Nous sommes des professionnels de la sécurité, nous sommes donc bien placés pour savoir qu’on ne plaisante pas avec ce sujet-là. Mais, au lieu de nous mobiliser pour prévenir les risques d’attentats, on nous accuse d’être nous-mêmes des amis des terroristes au simple motif que nous sommes d’origine maghrébine ou musulmans ! Pour moi, c’est du racisme pur. Avant cette expérience, je pensais que j’étais considéré comme mes collègues. Aujourd’hui, je sais que mes origines passent avant mes compétences professionnelles aux yeux de mes employeurs. Pourtant, je risque chaque jour ma vie pour protéger leurs installations », conclut, dépité, Younès, un agent de sécurité spécialisé dans la surveillance de sites très sensibles.

Nasser Negrouche.

Contre le racisme… et ses manipulations

Mercredi 5 juillet 2006
30 mars 2005
LE RAPPORT 2005 DE LA CNCDH

 

La publication du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la lutte contre le racisme (CNCDH) est devenu un rendez-vous attendu : les statistiques et les commentaires que cet organisme respecté livre chaque année au public éclairent en effet une des questions qui taraudent la France contemporaine.

Encore faut-il prendre le temps de s’y plonger : le rapport publié le 22 mars 2005 (1) est un document de 856 pages composé de trois parties. La première, outre le « bilan des actes racistes, antisémites et xénophobes en 2004 », comporte des chapitres consacrés aux discriminations, au bilan de l’action judiciaire, à l’état de l’opinion publique, aux mesures prises et à l’action des associations (2). La deuxième traite de la propagande raciste sur Internet, fournit une série de données chiffrées (manifestations de racisme, condamnations prononcées, détail du sondage BVA) et propose des avis d’experts (3). Et la troisième présente l’activité de la commission.

Incompétence ou mauvaise foi ? Avant même d’avoir pris connaissance de cette somme, télévisions, radios et quotidiens en ont donné une version non seulement tronquée, mais faussée. Libération (4) a battu tous les records en affirmant, tour à tour, que l’antisémitisme « est beaucoup plus virulent que le racisme, essentiellement antimaghrébin » et que « les juifs seraient, eux, largement victimes des Maghrébins ». L’éditorial de Gérard Dupuy affirmait même que le rapport de la CNCDH « attribue la montée des actes antisémites aux jeunes Maghrébins ». Autant de contresens, sur lesquels il convient de rétablir l’information.

Tout tourne, comme chaque année, autour du choix de la catégorie la plus significative de l’évolution du racisme. Traditionnellement, la CNCDH en utilise deux : d’une part les « violences » et d’autre part les « menaces ». Si toutes deux éclairent une dimension du racisme, la première s’avère évidemment plus précise et concerne des faits plus graves. Comment, par exemple, mettre sur le même plan un courrier anonyme ou une insulte antisémite et une attaque contre une synagogue ou un rabbin ? A titre indicatif, le rapport précise, page 56, que, parmi les 770 « violences et menaces antisémites » recensées en 2004 figurent… 483 graffitis. Dont on aurait tort, évidemment, de minimiser la nuisance. Mais une obscénité sur un mur ou un pupitre n’a rien de commun avec une agression. Ces nuances n’ont pas empêché la plupart des médias de ne commenter, pêle-mêle, que les statistiques additionnées des deux catégories.

Une telle addition indique, certes, une tendance : en l’occurrence, avec 1 565 faits en 2004 contre 833 en 2003, soit + 88 %, elle souligne que les expressions du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie ont quasiment doublé en un an. Cette poussée se traduit, au-delà des violences proprement dites, par un « climat » de haine banalisée qui peut, dans certains quartiers, collèges et lycées, prendre des proportions inquiétantes. Mais, si l’on entend cerner au plus près le phénomène dans sa globalité, de toute évidence mieux vaut avoir recours aux seules « actions violentes ». Même ce faisant, on aurait d’ailleurs tort de prendre les chiffres au pied de la lettre. Secrétaire général du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Haïm Musikant observait à juste titre à propos des violences antijuives : « Comme les plaintes sont mieux considérées qu’autrefois, que la police est plus mobilisée pour retrouver les agresseurs, et la justice pour les condamner, les gens victimes d’agressions hésitent moins à déposer plainte. » Ce n’est pas le cas, loin de là, de la plupart des Maghrébins, ne serait-ce qu’en raison de l’impression moins chaleureuse qu’ils conservent, pour des raisons évidentes, de l’accueil des commissariats…

Que nous apprend le rapport de la CNCDH sur les « violences » recensées en 2004 ?

- que le nombre d’« actions violentes racistes et xénophobes », qui avait quadruplé en 2002, est retombé de 119 cette année-là à 92 en 2003, mais remonté à 169 en 2004, soit une augmentation de 83 % (page 35), les actes recensés en Corse en représentant, pour la première fois, moins de la moitié. Le rapport parle au sujet des actions racistes de « niveau sans précédent depuis ces dix dernières années » (page 37) ;

- que le nombre d’« actions violentes antisémites », qui avaient sextuplé en 2002, est retombé de 195 cette année-là à 127 en 2003, mais remonté à 200 en 2004, soit une progression de 57 % (page 51), que le rapport qualifie d’« augmentation notable » ;

- que 67 de ces dernières seraient imputables à des « Arabo-Musulmans », soit 34 % du total (page 52). Dans son intervention (page 424), Jean-Christophe Rufin estime à « 30 % » les acteurs « issus de l’immigration, mais pas forcément maghrébine, avec la présence de Noirs et d’Antillais ». On notera en outre que, même s’agissant des « menaces antisémites », seules 25 % d’entre elles seraient le fait d’« individus originaires des quartiers sensibles » (page 57) ;

- que l’extrême droite, trop vite enterrée par certains analystes, est impliquée dans 7 % des « actions violentes » antisémites (page 52) et 23 % des « actions violentes » antiarabes ou antimusulmanes (page 34). Elle joue un rôle majeur dans les profanations de cimetières et de lieux de culte, dont la multiplication caractérise l’année 2004 - on en a compté 65, dont 32 antisémites et 33 islamophobes (page 28). Et le rapport ajoute d’ailleurs : « Les menées strictement islamophobes (…) représentent 21 % de la violence raciste globale en 2004 contre 15 % en 2003 et 12 % en 2002 » (page 35).

Ajoutons que la montée de cette islamophobie ne touche pas, hélas, que la France (5) : un rapport de l’association International Helsinki Federation for Human Rights vient d’établir une première analyse, pays par pays (6), des discriminations ainsi que des attaques, verbales comme physiques, que subissent les vingt millions de musulmans présents dans l’Union européenne élargie. Voilà qui, estime l’association, « menace de saper les efforts faits pour promouvoir l’intégration ». Et d’ajouter : « Le fait que les musulmans aient fait de plus en plus l’expérience de l’hostilité, de la discrimination et de l’exclusion depuis le 11-Septembre risque d’accroître leur sensibilité à la propagande d’organisation qui défendent des méthodes violentes pour protester contre les injustices subies. »

Il suffit de penser à la dérive d’un Dieudonné pour s’en convaincre à nouveau, si nécessaire : rien n’est plus absurde qu’une « concurrence des victimes » - selon le titre du beau livre du chercheur belge Jean-Michel Chaumont (7).

L’émotion profonde suscitée par la recrudescence, depuis cinq ans, des violences antijuives est bien sûr légitime, dans un pays où l’antisémitisme a contribué à la déportation de 76 000 juifs, dont seuls 2 500 ont survécu. Un demi-siècle plus tard, les violences antijuives ne s’appuient heureusement plus - contrairement aux violences antiarabes ou antimusulmanes - sur un courant politique de masse, l’antisémitisme comme idéologie s’étant marginalisé : si 90 % des sondés se disent prêts à élire un président de la République juif, ils ne sont que 36 % à affirmer la même chose d’un musulman (8). Raison de plus pour ne pas se laisser entraîner par l’émotion, aussi légitime soit-elle, à incriminer globalement une catégorie de jeunes, ni à minimiser les autres formes de racisme. Parce que tels ne sont pas les enseignements des faits recueillis et analysés par la Commission. Mais aussi parce que cela nuirait profondément à la nécessaire riposte.

Qu’on se souvienne de l’affaire Phinéas, qui, après celle du RER D, apporta la pire démonstration - par l’absurde - des dangers d’une médiatisation unilatérale et spectaculariste des violences antisémites : ce jeune néonazi, ayant attaqué des Maghrébins à coups de hachette sans faire parler de lui, décida, en août 2004, de profaner 63 tombes d’un cimetière juif de Lyon… et obtint effectivement la publicité qu’il attendait !

Sauf à glisser vers l’idéologie de ceux qu’on prétend combattre, il faut refuser de hiérarchiser les racismes – donc, qu’on le veuille ou non, les êtres humains. Il n’y a pas d’autre voie que de combattre tous les racismes – en tenant compte, bien sûr, des spécificités de chacun – et de rassembler ainsi toutes les forces démocratiques autour de toutes les victimes de tous les racismes. Qu’il soit dirigé contre les juifs, les Arabes, les musulmans, les Noirs ou les Tziganes, le racisme est également condamnable et doit être également combattu.

Dans les manipulations dont son rapport a été l’objet, la Commission porte une part de responsabilité : la synthèse qu’elle-même en a rédigée comportait certaines des confusions que nous venons de souligner. Mais il y a plus. Certes, l’an dernier, le rapport se livrait à une étude révélatrice de la dégradation de l’image de l’islam, dont 66 % des sondés avouaient une perception « négative (9) ». De même, cette année, il consacre un chapitre entier, confié aux associations, aux discriminations dont sont notamment victimes les enfants de la colonisation. On sent toutefois une difficulté, voire une réticence – et pas seulement à la CNCDH – à prendre pleinement en compte la perception de centaines de milliers de jeunes Français issus de l’immigration, qui vivent au quotidien ce « deux poids deux mesures » comme une véritable violence raciste. Le sait-on ? Les jeunes Arabes des quartiers ont par exemple six fois moins de chances – avec une lettre de motivation et un cv identiques - d’obtenir un entretien d’embauche ; et surtout 50 % des jeunes des cités connaissent le chômage, soit le double de la moyenne nationale. Et n’oublions pas ce qu’écrivait Amnesty International dans son rapport 2003 sur la France : « Les cas de brutalités policières ont été le plus souvent liés à des contrôles d’identité (…) le plus souvent pratiqués dans des quartiers dits “sensibles”, dont une grande partie des habitants sont des jeunes d’origine non européenne. »

Au journaliste de L’Humanité (10), qui, au lendemain de la parution du rapport de la CNCDH, lui demandait si la France devenait raciste, la chercheuse Nonna Mayer répondait : « C’est la tendance inverse qui s’exprime ! (…) depuis plusieurs années, lentement mais sûrement, on voit décroître les opinions de rejet à l’égard de toutes les minorités. Jamais les Français n’ont eu, dans leurs opinions, une attitude aussi sévère à l’égard des actes racistes. »

Avec les réserves d’usage qu’appellent les sondages, comment ne pas se réjouir des indications fournies par l’enquête réalisée par l’institut BVA auprès de 1 036 personnes, fin novembre 2004, pour la Commission ? Si on les ajoute, le racisme et l’antisémitisme arrivent au troisième rang (11) des craintes des sondés (cinquième rang en 2002) ? Et pour cause : 90 % d’entre eux (+ 3 % en un an) estiment le racisme très répandu en France. Et 67 % (59 % en 2002) pensent en conséquence qu’« une lutte vigoureuse » contre lui « est nécessaire ». D’autres réponses révèlent, de surcroît, une volonté croissante de répression des propos (12), des propagandes, des actes antisémites et, à un moindre degré, antiarabes ou simplement discriminatoires.

Cette prise de conscience est d’autant plus réjouissante qu’elle s’accompagne d’une diminution des préjugés affichés (pages 113 à 142 et 347 à 407) : 89 % des sondés (sans changement par rapport à 2002) estiment que « les Français juifs sont des Français comme les autres » et 77 % (+3 %) portent un jugement similaire sur les Français musulmans. Concernant les travailleurs immigrés, 81 % (+ 7 %) pensent qu’ils « doivent être considérés ici comme chez eux puisqu’ils contribuent à l’économie française » ; 74 % (+ 7 %) que « leur présence est une source d’enrichissement culturel »  ; et 56 % (+ 6 %) qu’« il faudrait donner le droit de vote aux élections municipales pour les étrangers non européens résidant en France depuis un certain temps ».

Le sondage de BVA indique aussi une sensibilité plus vive, mais toujours inégale, aux discriminations : 68 % des personnes interrogées estiment « très grave » de refuser l’embauche d’un Noir qualifié à un poste (61 % dans le cas d’un Maghrébin) ; 60 % de ne pas louer un logement à un Noir (48 % pour un Maghrébin) ; 59 % d’interdire l’entrée d’une boîte de nuit à un Noir (47 % pour un Maghrébin)…

D’autres questions suggèrent, à long terme, une confiance majoritaire et croissante dans le « vivre ensemble » des personnes d’origine et de religion différentes. Et 80 % (contre 16 %) affirment qu’« on juge aussi une démocratie à sa capacité d’intégrer les étrangers »… Contradictoirement, seuls 47 % (contre 46 %) pensent qu’« il faut faciliter l’exercice du culte musulman », et, encore plus bizarrement, une majorité (47 % contre 43 %) refuse même de « faciliter la formation d’imams français »… Il faut dire que 35 % des sondés perçoivent négativement la religion musulmane, 21 % la religion juive, 17 % le protestantisme et 16 % le catholicisme. Pis : 41 % affirment qu’il y a « trop » d’étrangers/immigrés en France (13) …

C’est dire le chemin parcouru… et celui qu’il faut encore faire. Ensemble.

 

Dominique Vidal

(1) CNCDH, La lutte contre le racisme et la xénophobie 2004. La Documentation française, Paris, 2005, 2 vol., 856 pages, 25 euros.

(2) SOS Racisme, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP, qui propose un document long et fouillé), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), Ni putes ni soumises (NPNS) ainsi que les principaux syndicats ouvriers.

(3) On lira notamment avec beaucoup d’intérêt ceux de Michel Wieviorka et d’Esther Benbassa, mais aussi – pour le caractère caricatural de la défense de leurs thèses – ceux de Michèle Tribalat et, plus encore, de Pierre-André Taguieff.

(4) Libération, 22 mars 2005.

(5) Dans leur commentaire (page 140), Nonna Mayer et Guy Michelat observent qu’en France le débat sur la loi prohibant le port de signes religieux ostensibles à l’école « a pu apparaître comme un prétexte commode pour masquer des sentiments islamophobes ou racistes. (…) « Quelle que soit leur orientation politique, les personnes les plus tolérantes envers l’islam sont celles qui affichent une laïcité modérée. (…) Chez les interviewés de gauche, la tolérance à l’égard de l’islam, et d’ailleurs la tolérance tout court, est beaucoup plus forte quand ils valorisent la laïcité. Les “islamophobes” sont les moins laïques. C’est le contraire chez les interviewés de droite. Plus ils se disent laïcs, plus ils rejettent l’islam et plus largement les immigrés, les étrangers. Au total, la proportion d’“islamophobes” atteint son maximum (57 % de notes élevées) chez les interviewés qui se situent le plus à droite et valorisent le plus la laïcité. Autrement dit, le même terme peut être chargé de significations manifestement différentes selon le camp politique auquel on appartient. Tout se passe comme si, actuellement, valoriser la laïcité quand on se classe à droite était une façon de légitimer son hostilité à l’islam, alors que, pour la gauche, la laïcité correspondrait à un héritage républicain et universaliste. »

(6) Intolerance and Discrimination against Muslims in the EU. Developments since September 11,Vienne, mars 2005.

(7) Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes. Génocides, identité, reconnaissances, La Découverte, Paris, 1997.

(8) Voir respectivement Nonna Mayer, « La France n’est pas antisémite », Le Monde, 4 avril 2002, et l’enquête sur « L’islam en France » réalisée par Artenice Consulting, avril 2004.

(9) Curieusement, en remplaçant le terme « islam » par l’expression «  religion musulmane », ce pourcentage tombait à 44 %. Oriana Fallaci, Michel Houellebec et Claude Imbert – entre autres – ont sans doute une responsabilité dans cette diabolisation du nom même de la religion de 4 à 5 millions de Français.

(10) « La violence raciste redouble en France »,22 mars 2005.

(11) Après le chômage, la pauvreté et l’insécurité.

(12) Entre 2002 et 2004, la proportion de sondés estimant que les insultes racistes doivent être condamnées a considérablement augmenté, passant de 59 % à 81 % pour les insultes antisémites et de 47 % à 67 % pour les insultes antiarabes.

(13) 2 % disent « pas assez », 24 % « juste ce qu’il faut  », 29 % se disant « indifférents ». En 2002, 46 % des sondés répondaient : « trop »…

Saint-Pétersbourg, au coeur du racisme russe

Mercredi 5 juillet 2006

Racisme

Le 27 décembre 2005, plusieurs militants des droits de l'Homme étaient descendus dans les rues de Saint-Petersbourg pour dénoncer le meurtre d'un étudiant camerounais. Les violences racistes se sont multipliées ces dernières années en Russie. </p>
<p>(Photo : AFP)

Le 27 décembre 2005, plusieurs militants des droits de l’Homme étaient descendus dans les rues de Saint-Petersbourg pour dénoncer le meurtre d’un étudiant camerounais. Les violences racistes se sont multipliées ces dernières années en Russie.
(Photo : AFP)
Samba Lampsar Sall, 28 ans, étudiant en télécommunications, de nationalité sénégalaise, a été tué ce vendredi matin, en pleine rue à Saint-Pétersbourg. D’après les premiers éléments de l’enquête, les meurtriers auraient utilisé un fusil à pompe orné d’une croix gammée, symbole nazi. Cet assassinat s’ajoute à une liste de plus en plus longue. Les étrangers affirment être victimes d’actes racistes à répétition, notamment dans cette ville russe. Les organisations de défense des droits de l’Homme dénoncent l’impunité dont bénéficient souvent les auteurs de ces violences, qui s’inspirent parfois ouvertement des thèses néo-nazies.


«Je ne comprends pas ce qui se passe : presque toutes les semaines, on entend parler d’agressions racistes». Sacha Petrova est étudiante à l’université de Saint-Pétersbourg. Cette demoiselle blonde est russe. Des jeunes qui, comme elle, manifestent leur étonnement, leur indignation, il n’y en a pas beaucoup. Comme si les violences racistes tendaient à se banaliser dans les esprits, dans les rues. Sacha jette un œil sur la photo de Samba Lampsar Sall accrochée sur le mur de l’université. Le jeune homme, qui étudiait là, est mort quelques heures plus tôt, tué à la sortie d’une boîte de nuit, alors qu’il était en compagnie de camarades étudiants. «Et encore un !», déplore Sacha.
Le 25 mars dernier, c’est une fillette métisse Liliana Sissoko, âgée de 9 ans, qui a été victime d’une agression à caractère raciste, poignardée par deux adolescents dans l’escalier de son immeuble, à Saint-Pétersbourg. Le 24 décembre 2005, Léon Kanhem, 28 ans, étudiant camerounais, était assassiné, sans mobile, toujours à Saint-Pétersbourg. Fin octobre, c’était un étudiant chinois. Mi-septembre, un étudiant congolais. La liste détaillée serait longue. Selon une organisation non-gouvernementale spécialisée dans l’étude des agressions racistes, six personnes ont été tuées et 79 autres blessées, depuis le mois de janvier, dans toute la Russie. Mais c’est dans la deuxième ville du pays, Saint-Pétersbourg, que la plupart des violences à caractère raciste sont perpétrées.

La «Venise du Nord» s’enfonce dans le racisme

Haut-lieu du patrimoine culturel mondial, l’ancienne capitale de Russie est parfois appelée la «Venise du Nord» en raison de ses nombreux canaux et de ses innombrables ponts. Outre les touristes, elle accueille, dans ses universités, des milliers d’étudiants de toutes nationalités. Mais ceux-ci, dès lors qu’ils ont la peau un peu trop foncée aux yeux des jeunes russes, sont victimes de discrimination. Et ce racisme frappe indistinctement les personnes originaires d’Afrique, d’Asie centrale, du sud et du sud-est, d’Amérique latine, et même des ressortissants de la Fédération de Russie, notamment les Caucasiens.

«Nous venons ici pour étudier, je ne comprends pas pourquoi on nous tue», déplore Emmanuel. En fait, cet étudiant malien a bien sa réponse : «(Samba Lampsar Sall) a été tué parce qu’il était noir (…) Moi-même, j’ai déjà été agressé quatre fois par des jeunes Russes, trois fois dans la rue et une fois dans le métro».

Face à la multiplication de ces violences à caractère raciste, le gouverneur de Saint-Pétersbourg, Valentina Matvienko avait pourtant défendu en mars dernier, l’image de sa ville et réfuté toute «tendance xénophobe» au sein de sa population. Il faut dire que l’image de la ville en pâtit au niveau international. D’autant plus qu’un sommet du G8 doit s’y dérouler en juillet prochain.

Mais entre les déclarations d’intention et les actions concrètes pour éradiquer les actes racistes, il y a comme un fossé. C’est ce qu’osent dénoncer plusieurs journalistes. Ainsi Alexandre Minkine, du Moskovski Komsomolets, qui interpelle le président de la Fédération de Russie : «Vladimir Vladimirovitch (Poutine), pourquoi vous taisez-vous ? Vous êtes le président, le garant de la Constitution. Cela se passe dans votre ville natale, où vous allez recevoir les dirigeants du G8.»

Dénoncer le climat d’impunité

De leur côté, les organisations non-gouvernementales rappellent que la Fédération de Russie est signataire d’un grand nombre de traités relatifs aux droits humains et à la discrimination raciale en particulier. En 2003, l’ONG Amnesty international a publié un rapport intitulé «Combattre le racisme pour mettre fin au climat d’impunité». L’organisation de défense des droits de l’Homme reproche aux autorités de ne pas tout mettre en œuvre pour assurer le bon déroulement des enquêtes et des procès. Or, déclare Amnesty International, «ne pas demander des comptes à ceux qui commettent, encouragent ou approuvent les violences racistes a fréquemment pour effet d’aggraver le problème et contribue à instaurer un climat d’impunité dont profitent ceux qui commettent de tels actes».

Pendant longtemps, les victimes elles-mêmes ont manifesté des réticences à porter plainte à la police, pour la simple raison que les policiers semblent peu enclins à résoudre ce type d’affaires racistes, préférant parler d’actes de «hooliganisme». «Les autorités disent que ce sont des voyous qui sont à l’origine de ces attaques, regrette Aliu Tunkara président d’une association qui regroupe des ressortissants des pays africains vivant en Russie. Ce n’est pas vrai. C’est du racisme !» Un autre responsable, Désiré Defot dénonce «l’indifférence des forces de l’ordre et du pouvoir».

D’après plusieurs ONG, les agresseurs, lorsqu’ils sont présentés à la justice, sont rarement punis avec la sévérité pourtant attendue face à ce type de violence. Ce qui renforce le sentiment d’impunité chez les groupes extrémistes qui n’hésitent plus à agir. Ces groupes extrémistes puisent parfois ouvertement leur inspiration dans les thèses nazies.

Plusieurs marches ont été organisées ces derniers mois, pour dénoncer les violences racistes, mais sans réussir à mobiliser beaucoup de monde.

par Olivier  Péguy

Article publié le 07/04/2006 Dernière mise à jour le 07/04/2006 à 17:50 TU

Pour que le crime raciste ne reste pas impuni

Mercredi 5 juillet 2006

Sénégal

 

A Dakar comme à Saint-Pétersbourg (photo), des manifestants ont dénoncé le meurtre raciste de Samba Lampsar Sall et ont réclamé, aux autorités russes, de meilleures conditions de sécurité pour les étudiants étrangers.
(Photo : AFP)
Le corps de Samba Lampsar Sall a été rapatrié jeudi soir à Dakar, à bord d’un avion commercial. Cet étudiant sénégalais de 28 ans, avait été assassiné le 7 avril dernier à Saint-Pétersbourg, en Russie. Ce crime raciste a suscité, notamment au Sénégal, une vive indignation qui s’est traduite par une manifestation, vendredi devant l’ambassade de Russie à Dakar.

De notre correspondant à Dakar

Accueil discret jeudi soir à l’aéroport Léopold Sedar Senghor pour Samba Lampsar Sall. La famille, une dizaine de proches, et quelques représentants de partis politiques et du gouvernement sont là. En arrivant, le père, Badara Sall, très ému, se contente de quelques mots : «Nous avons reçu un coup de téléphone de l’ambassade. Nous avons reçu aussi un appel du rectorat de l’université de Saint-Pétersbourg qui nous ont simplement donné des mots de réconfort».

Un message sobre donc. Mais à l’écart du groupe, un membre de la famille ne peut s’empêcher d’exprimer sa colère. «Si nous ne nous maîtrisions pas, nous nous en prendrions à tous les Russes du Sénégal, parce que cela fait mal, explose le jeune homme. Et on a l’impression que du jour au lendemain ça peut se reproduire.»

Jeudi soir, il y avait aussi à l’aéroport quelques anciens étudiants qui ont résidé, il y a quelques années, dans l’ancienne Union soviétique. Sidy Fall, professeur de russe, comme d’ailleurs la mère de la victime, se souvient avoir vécu la peur au ventre. «J’ai vécu onze ans dans ce pays. Et j’ai eu à vivre des moments très difficiles, raconte-t-il. J’ai été agressé par des skinheads, par deux fois. On a toujours vécu dans la peur dans ce pays. Pour sortir dans la rue, c’était un problème. Il fallait à chaque fois être en groupe pour ne pas être agressé.»

Manifestation devant l’ambassade de Russie

Dans ce contexte, la RADDHO, une organisation sénégalaise de défense des droits de l’Homme, a appelé la communauté africaine et internationale à réagir pour protéger les ressortissants africains de Russie. Cette ONG déplore que «le racisme (soit) devenu un véritable cancer dans la société russe».

A Dakar, en tous cas, la modestie des excuses des autorités russes passe mal. Et vendredi matin, une centaine de personnes ont manifesté leur colère devant l’ambassade. Elles ont fini par être reçues par le chargé d’affaires, à qui elles ont remis une lettre exprimant leur «très vive protestation et exigeant que le ou les coupables soient arrêtés et punis conformément à la loi, et la famille du défunt indemnisée». Le diplomate leur a promis que son pays allait assurer la sécurité des ressortissants sénégalais en ex-Union soviétique. Sans plus de précisions.

Saint-Pétersbourg, ville de tradition libérale dans les années 90 et «fenêtre sur l’Europe» de la Russie, est devenue ces dernières années, le théâtre d’une série de passages à tabac et de meurtres racistes commis souvent par des skinheads, s’inspirant de l’idéologie néo-nazie.

par Christophe  Champin

Article publié le 15/04/2006 Dernière mise à jour le 15/04/2006 à 11:37 TU

Crime raciste à Anvers

Mercredi 5 juillet 2006

Belgique

Jeudi 11 mai, avant midi, un skinhead belge de 18 ans a tiré sur plusieurs persones dans les rues d’Anvers. Une femme turque de 46 ans a survécu à ses blessures, mais une Malienne de 24 ans a été tuée, de même que la fillette belge de 2 ans dont elle avait la garde. Le raid meurtrier a été perpétré par le neveu d’une élue du Vlaams Belang (Intérêt Flamand), un parti d’extrême-droite.
De notre correspondante à Anvers
La marche silencieuse organisée le 12 mai à Anvers a réuni moins de 300 personnes. Belges, mais surtout Turcs, Marocains et Africains originaires du sud du Sahara, ils n’ont pas été très nombreux à manifester, après le dernier d’une longue série de crimes racistes perpétrés dans la seconde ville de Belgique.

La veille, juste avant midi, des coups de feu ont retenti dans le Schipperskwartier, un quartier du centre-ville situé à deux pas de la cathédrale. Occupée à lire sur un banc public, Songul Koç, une femme d’origine turque de 46 ans, a été blessée par balle au thorax.

L’agresseur, un jeune au crâne rasé, longue mèche de cheveux derrière la nuque, habillé en noir, a poursuivi son chemin. Quelques rues plus loin, dans Zwartezuster Straat, il a abattu à bout portant une jeune Malienne, Ndoye Yatassaye, 24 ans, et Luna Drowat, 2 ans, la fillette belge dont elle était la nourrice depuis un an.

Un skinhead issu d’une famille d’extrême-droite

Repéré par un policier en civil, le meurtrier a été abattu dans le même quartier, après avoir refusé de déposer son arme - un fusil automatique Winchester acheté le matin même dans une armurerie d’Anvers. Blessé au ventre, il a été hospitalisé et n’a pas encore été interrogé par les enquêteurs.

Les mobiles racistes de Hans van Temsche ne font guère de doute. Neveu de Frieda van Temsche, députée du parti d’extrême-droite Vlaams Belang et fils de Peter van Temsche, un militant de la première heure du même mouvement, le jeune skinhead portait sur lui des signes celtiques et des tracts néofascistes.

A l’internat de l’institut d’agronomie où il résidait, la police a par ailleurs trouvé de la littérature d’extrême-droite, ainsi qu’un plan détaillé de son attaque, qui visait à faire plus de victimes. La mort de la petite Luna Drowart, fille d’un restaurateur d’Anvers, a choqué les Anversois. « Elle aurait pu être ma fille », s’exclame Pape Touré, un père de famille d’origine sénégalaise, bouleversé.

Une litanie d’agressions racistes

« Nul ne peut désormais ignorer ce à quoi l’extrême-droite peut mener », a déclaré peu après les faits Guy Verhofstadt, le Premier ministre belge, dénonçant des « crimes horribles et lâches ». Le chef du gouvernement a mis en garde contre « une spirale de violence », faisant allusion à la série d’incidents racistes qui se sont produits ces derniers jours en Belgique.

Le cadavre de Mohammed Bouazza, un Marocain de 23 ans, a en effet été retrouvé le 10 mai dans le fleuve Escaut. Il avait disparu dix jours plus tôt, après une dispute « raciste », selon sa famille, devant une discothèque d’Anvers.

Dans la nuit du 8 au 9 mai, la maison de la famille Ouassou, d’origine marocaine, a été incendiée dans la localité de Heule, à l’ouest de la Belgique flamande.

A Bruges, le 6 mai, cinq skinheads ont passé à tabac un Français d’origine africaine qui se promenait avec un ami belge non loin d’un bar skinhead, De Kastelein. Alors que la victime se trouve toujours dans le coma, le bar a été temporairement fermé, le 11 mai, par la mairie.

« Il y a un vrai problème à Anvers »

La presse belge s’interroge sur le lien entre cette vague de crimes racistes et la mort de Joe van Holsbeeck, un Belge de 17 ans tué le 12 avril pour son baladeur MP3 par deux jeunes Polonais, dans la gare centrale de Bruxelles. A Anvers, bastion du Vlaams Belang (33 % des suffrages lors des municipales de 2000), des immigrés regrettent pour leur part que la police et les médias aient d’abord parlé d’un agresseur « nord-africain » dans cette affaire.

« Il y a un vrai problème à Anvers », estime Bouhala Zoheir, un informaticien d’origine algérienne. « A partir de 18 heures, je n’ose plus sortir, dit-il. Ou alors avec la peur au ventre. » La Ligue arabe européenne (LAE), une petite association de nationalistes arabes, a lancé ses propres patrouilles dans les rues de la ville, en 2003, pour surveiller le comportement de la police, suspectée de racisme.

Quelques mois plus tôt, le 26 novembre 2002, Mohamed Achrak, un enseignant marocain, était abattu devant chez lui par un voisin belge. La répression par la police d’une manifestation de jeunes marocains contre ce crime avait ensuite provoqué trois jours d’émeutes. Une agitation que la ville s’étonne de ne pas connaître à nouveau aujourd’hui.

par Sabine  Cessou

Article publié le 12/05/2006 Dernière mise à jour le 12/05/2006 à 18:07 TU