Islamophobie
Inde : retour sur des pogroms antimusulmans D’abord attribué à une attaque de musulmans, l’incendie d’un train de pèlerins hindous en février 2002 au Gujarat serait dû à un accident, selon une enquête. Une commission d’enquête gouvernementale a créé la stupeur, hier en Inde, en annonçant que l’incendie d’un train transportant des pèlerins hindous dans l’Etat du Gujarat, le 27 février 2002, était «accidentel» et non criminel. Selon les résultats préliminaires de l’enquête, menée sous la direction d’un ancien juge de la Cour suprême, U.C. Banerjee, ce feu aurait en réalité été déclenché par un mégot ou un réchaud, en tout cas «sans aucune contribution extérieure». Une révélation explosive puisque l’incendie du Sabarmati Express, qui avait tué 59 passagers et déclenché les pires émeutes interconfessionnelles qu’ait connues le pays en dix ans, avait jusqu’ici toujours été présenté comme un «complot prémédité». Selon la version des autorités locales, le train avait été attaqué par une foule de musulmans à sa sortie de la gare de Godhra.Â
Particulièrement actifs au Gujarat, les mouvements fondamentalistes hindous avaient alors lancé de sanglantes «représailles» contre la minorité musulmane, faisant plus de 2 000 morts à travers l’Etat. Les autorités locales, dirigées par l’aile la plus extrémiste du parti nationaliste hindou, le BJP, avaient fermé les yeux sur ces violences, ordonnant même à la police de ne pas intervenir. Quant au gouvernement fédéral, lui aussi aux mains du BJP à l’époque, il avait qualifié ces émeutes de «réaction spontanée» à la «provocation» de Godhra. A ce jour, 75 suspects sont toujours derrière les barreaux dans le cadre de l’enquête sur le Sabarmati Express. «Conspiration». Près de trois ans après les faits, il semblerait maintenant que cet incendie n’ait été qu’une excuse pour déclencher des pogroms antimusulmans qui étaient, en fait, planifiés de longue date. Eliminant une à une les hypothèses selon lesquelles le feu aurait pu être déclenché par «de l’essence», «une action scélérate» ou «un court-circuit», les enquêteurs estiment que le feu ne peut être que le résultat de quelqu’un qui fumait ou qui cuisinait à l’intérieur même du wagon S-6. Une thèse rejetée par la police du Gujarat, qui maintient sa version d’un «acte prémédité et exécuté par des criminels», voire une «conspiration manigancée par une organisation terroriste». Selon elle, des malfrats auraient jeté de l’essence dans le train. Une éventualité que le nouveau rapport juge cependant «totalement exclue puisqu’il y a d’abord eu une odeur de brûlé, suivie par de la fumée, puis ensuite par des flammes». Depuis trois ans, des observateurs avaient déjà émis des doutes sur les circonstances de l’incendie et souligné que les pogroms semblaient particulièrement bien organisés pour une «réaction spontanée». Les émeutiers avaient en effet ciblé les maisons et commerces musulmans avec une précision quasi chirurgicale, laissant penser qu’ils en possédaient déjà la liste. Six mois plus tard, le BJP avait par ailleurs provoqué  et remporté  des élections anticipées au Gujarat en capitalisant sur les divisions religieuses consécutives aux affrontements. Désormais, il semblerait que les mouvements extrémistes hindous, dont le BJP est l’émanation politique, aient carrément pu provoquer les massacres en faisant passer l’accident de Godhra pour un attentat. Publication précoce. Aujourd’hui dans l’opposition au niveau fédéral, le BJP a réagi en accusant le nouveau gouvernement, dirigé par le parti du Congrès (centre gauche), d’utiliser ce dossier à des fins politiques. Commandé en septembre dernier, le rapport sur l’incendie de Godhra n’était, en effet, pas attendu avant mars, or sa publication précoce tombe à pic pour discréditer le BJP à la veille de trois élections régionales, prévues en février. Libération – 19 janvier 2005 - http://www.liberation.fr/page.php?Article=269101 Â
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